Rencontre avec le papa des bunkers
«Nos constructions de protection civile tiendront encore au moins 100 ans»

Les abris de protection civiles (PC), l'ingénieur suisse Werner Heierli les connaît mieux que quiconque. Pendant la guerre froide, il a été l'un des principaux concepteurs des bunkers suisses. Pour lui, c'est sûr, ils seront efficaces en cas d'attaque nucléaire.
Publié: 19.03.2022 à 16:46 heures
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Werner Heierli a été l'un des hommes les plus importants dans le développement des ouvrages de protection civile suisses.
Photo: Philippe Rossier
Beat Michel (Texte) et Philippe Rossier (Photos)

«Cela faisait longtemps que la menace n’avait pas été aussi réelle», nous avertit Werner Heierli, l’un des pères des abris PC en Suisse. Même si l’expert s’avoue inquiet, il se veut aussi rassurant: «Quand j’entends le chef d’État parler de la Russie, j’ai l’impression de revenir à la guerre froide des années 1960. Sauf que nous sommes aujourd’hui dans une bien meilleure position qu’à l’époque, car nous avons entre-temps construit des abris pour plus de 11 millions de personnes.»

C’est à l’époque de Khrouchtchev et de Kennedy que Werner Heierli, ingénieur civil diplômé de l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), a commencé à s’investir dans la protection civile suisse. Pendant 30 ans, il a participé à l’élaboration et à la mise en œuvre du concept de protection civile en 1971. «Il s’agissait de protéger l’ensemble de la population contre tous les effets des armes modernes, y compris les armes nucléaires», explique le Zurichois.

Une protection à proximité des chemins pédestres

Aujourd’hui, l’objectif de l’époque est largement atteint – plus de 90% de la population trouve une place dans un abri moderne situé à proximité des chemins piétons. Dans tout le pays, il existe environ 365’000 abris ainsi qu’un peu plus de 1700 constructions protégées. Le compte est donc bon, bien que la population suisse ait augmenté. «Comme les centres commerciaux et les cinémas ont également dû construire des abris, il y en a aujourd’hui assez pour tout le monde», nous informe l’ingénieur, avant d’ajouter: «Aucun autre pays au monde ne dispose d’une plus grande densité d’abris PC, dans lesquels on peut rester protégé pendant des jours, voire des semaines.»

C’est en compagnie de l’homme de 87 ans que Blick est autorisé à visiter l’installation de Wettswil am Albis à Zurich. Destiné à un poste de commandement et à la direction de la commune, le bunker possède tous les éléments d’un abri classique: du béton armé épais tout autour, un sas avec des douches à l’entrée et d’énormes filtres à air contre la poussière et les gaz toxiques.

Une demande au niveau international

Au moment de la mise en place des divers abris, Werner Heierli se souvient avoir développé un système de filtrage d’air: «Nous les avons testés un par un et avons dû quasiment tout réinventer. Désormais à la pointe, nos installations détiennent même des instructions techniques qui ont été appliquées dans plusieurs pays et même traduites en chinois.»

Même si certains bunkers datent déjà de plus d’un demi-siècle et que l’équipement semble tout droit sorti d’un musée, l’ingénieur a toute confiance en ces installations: «Je suis sûr que nos abris résisteront encore très longtemps, même à la plupart des effets des armes du futur, probablement encore bien plus de 100 ans.»

Pour sa thèse de doctorat à l’EPFZ, Werner Heierli s’était déjà penché sur les explosions et leurs effets sur les constructions souterraines. Il a ensuite effectué des recherches à l’université technologique américaine du Massachusetts, le célèbre MIT (Massachusetts Institute of Technology) sur l’effet des armes nucléaires sur les abris de protection. De retour en Suisse, il a participé à tous les travaux de la commission d’étude de la protection civile, nécessaires à la planification et à la réalisation des installations de PC.

L’expert en est convaincu: «Si l’Ukraine avait des abris de protection modernes, il y aurait beaucoup moins de victimes civiles. L’évacuation hors du pays est malheureusement bien plus dangereuse que le fait de rester dans un abri à proximité de son domicile. En fuyant, on est toujours exposé sans protection aux agressions externes.»

(Adaptation par Valentina San Martin)

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