Racisme ou pratique reconnue?
Une dermatologue lausannoise refuse de traiter les patients blancs

La décision d’une dermatologue lausannoise de ne plus traiter que les patients à peau foncée dès janvier crée la polémique. Certains crient au racisme, mais le vice-président de la société suisse de dermatologie rappelle l'importance de cette sous-spécialisation.
Publié: 01.11.2024 à 05:46 heures
Traiter uniquement les peaux noires en tant que dermatologue, du racisme anti-blanc ou une pratique à part entière?
Photo: Shutterstock
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Lucie FehlbaumJournaliste Blick

«Il faut dénoncer immédiatement ce cas et déposer une plainte pénale!» La nouvelle a fait l'effet d'une bombe sur Facebook. Début octobre, une dermatologue lausannoise a informé ses patients par courrier d'un changement d'orientation. Dès le 1er janvier, elle ne traitera plus que les patients à la peau noire, foncée ou métissée.

Certains patients, perplexes, ont contacté Blick pour s'étonner du pli reçu. La difficulté de trouver un nouveau médecin agace, bien que la médecin fournisse une marche à suivre dans sa lettre. Elle propose également de conserver tous les rendez-vous du premier semestre 2025.

«Se peindre en noir» pour obtenir «du social»

Mais sur Facebook, les internautes n'en ont cure. Le courrier de la dermatologue a été partagé par Josée-Christine Lavanchy, conseillère communale (législatif) lausannoise de l'Union démocratique du centre (UDC). Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il fait rager. L'élue légende la photo d'un «Je pensais avoir quasi tout lu et tout vu… Eh bien non…»

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Florilège, parmi la centaine de commentaires: «Bon ben voilà, non seulement il faut se peindre en noir pour obtenir qquechose du social mains maintenant aussi chez le toubib...» (sic). Ou encore: «Pénalement discutable. Cette dame doit être renvoyee dans son pays. Il faut transmettre au médecin cantonal» (sic). Sur son site, on voit en effet que la docteure est originaire de France.

Une seule dermato spécialisée dans tout le pays

Certains s'arrêtent tout de même un instant pour se demander s'il ne s'agirait pas d'une spécialisation. Alors, la dermatologie uniquement pour les peaux foncées, est-ce du racisme ou une vraie pratique?

La dermatologue a laissé soin au vice-président de la Société suisse de dermatologie (SSDV) de nous répondre. Il tance d'emblée: «Par définition, ce n'est pas du racisme. En Suisse, nous avons 1000 dermatologues, 999 sont spécialisés dans le traitement des peaux blanches. Je ne pense pas qu'on puisse appeler cela une discrimination», commente Severin Läuchli, également chef de l'institut de dermatologie du City Hospital de Zurich.

Des maladies qui ne se ressemblent pas entre blancs et noirs

La réponse est donc oui, la consultation peau foncée est une sous-spécialisation. «Il en existe plusieurs, pour les enfants par exemple, ou la dermatologie chirurgicale, informe le médecin. C’est une spécialisation importante et compliquée à maîtriser. Le problème, c'est que très peu de dermatologues en Europe s'y intéressent, contrairement aux États-Unis.»

Les raisons sont multiples pour séparer le traitement des peaux blanches et des peaux noires. La dermatologue lausannoise reconnaît d'ailleurs dans sa lettre ne plus avoir le temps de conserver «une double activité».

Severin Läuchli développe. «L'une des grandes différences est que presque toutes les maladies de la peau apparaissent différemment sur les peaux foncées. L'eczéma, la dermatite, sur les peaux foncées, ça ne ressemble pas du tout à ce que l'on voit sur les peaux blanches.»

Très commun aux États-Unis

Et chez nous, tous les livres, tous les cours universitaires, sont centrés sur la peau blanche. «L'eczéma est rouge sur une peau blanche, illustre le vice-président de la SSDV. Sur une peau foncée, c'est juste un peu plus foncé. De plus, ces peaux ont des problèmes spécifiques, elles présentent notamment davantage de problèmes d'hyperpigmentation, après des inflammations notamment, et moins de cancers de la peau.»

Aux États-Unis, traiter les peaux noires fait partie de l'enseignement et des cours spécifiques y sont dédiés.«En Suisse, nous avons essayé de l'implémenter dans le cursus, mais c'est à très petite échelle, regrette le dermatologue zurichois. Un programme d'échange existe avec une clinique en Tanzanie, sinon il faut aller à Paris ou aux États-Unis pour se former.»

«Il y a beaucoup d'ignorance»

Pour le vice-président de la SSDV, se spécialiser en dermatologie pour les peaux foncées est très important. «On ne peut pas ignorer la part de la population suisse ayant la peau foncée, souligne-t-il. Le public devrait être informé de cette spécialité, car il y a beaucoup d'ignorance.»

Ainsi, hormis deux ou trois médecins ayant fait une formation en Afrique, presque personne ne porte cette casquette en Suisse. «Cette dermatologue est l'une des rares, et nous sommes heureux de pouvoir bénéficier de son expérience», assure Severin Läuchli.

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