Qui doit payer pour les interprètes à l'hôpital?
Quand la barrière de la langue devient un risque pour la santé

Qui doit payer lorsqu'un patient a besoin d'un interprète à l'hôpital? Depuis des années, la Confédération et le secteur de la santé se renvoient la responsabilité. Une situation instable qui pourrait avoir de graves conséquences sur les patients et sur les médecins.
Publié: 29.02.2024 à 05:59 heures
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Dernière mise à jour: 29.02.2024 à 06:45 heures
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Lorsque le médecin et le patient ne parlent pas la même langue, un interprète est nécessaire.
Photo: Keystone
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Lea Hartmann

La nouvelle que Franziska Neziri a dû annoncer à ce couple à l'hôpital était la pire qu'on puisse annoncer à des parents: leur fille de 5 ans ne passera pas la nuit. Cette interprète a été mandatée par les médecins pour traduire la triste nouvelle de l'allemand en albanais.

La Zurichoise travaille comme interprète et traductrice auprès des tribunaux pour la Confédération, mais aussi dans les hôpitaux et les services psychiatriques. Le sort de cette famille kosovare qui vient de perdre son enfant la préoccupe. Selon les parents en deuil, leur fille serait encore en vie s'ils avaient réussi à mieux communiquer avec le corps médical, raconte Franziska Neziri.

«En raison de leur manque de connaissances en allemand, ils ne pouvaient pas exprimer leurs inquiétudes au personnel soignant, ni décrire précisément comment les symptômes et douleurs de leur enfant», se souvient l'interprète. Ce n'est qu'à la troisième visite aux urgences que les médecins ont pu déduire que la fillette était gravement atteinte de la tuberculose.

Personne ne veut payer pour les interprètes

On ne sait pas pourquoi la famille n'a pas pu bénéficier plus tôt de l'aide d'un interprète. Mais une chose est sûre: les patients ou leurs proches qui ne parlent ni une langue nationale ni l'anglais ne peuvent pas compter sur un service de traduction à l'hôpital. Et pour cause: le financement des traducteurs n'est pas réglementé de manière uniforme. Les interprètes ne peuvent pas facturer leurs prestations via les caisses d'assurance maladie, ce qui explique que les coûts restent souvent à la charge des patients.

Mais cette lacune pourrait bientôt être comblée. Le conseiller aux États PLR Damian Müller souhaite que la Confédération prenne les choses en main et édicte une réglementation uniforme pour toute la Suisse. Une telle mesure ne concernerait pas seulement les personnes de langue étrangère, mais aussi les personnes sourdes.

Le Conseil des Etats a approuvé cette demande en septembre dernier. Le Conseil national devra se prononcera jeudi sur la question. Si celui-ci approuve également l'intervention, le Conseil fédéral sera chargé de trouver une solution avec les hôpitaux et les caisses maladie.

«Nous avons besoin de l'impulsion du Conseil fédéral»

Et il est grand temps d'en trouver une, estime Lena Emch-Fassnacht, directrice de la communauté d'intérêts Interpret, l'organisme responsable du brevet fédéral d'interprète. Franziska Neziri siège également au comité. Plus de la moitié du personnel de santé serait souvent confrontée à des obstacles linguistiques, atteste la directrice. «Depuis des années, la responsabilité est renvoyée entre les partenaires tarifaires et la Confédération. Nous avons besoin de l'impulsion du Conseil fédéral.» 

Mais celui-ci peine à prendre les choses en main. La commission de la santé du Conseil national, de son côté, recommande à ses membres de rejeter la demande. On craint une augmentation des coûts de la santé – et donc, des primes maladies.

Les traitements à long terme coûtent plus cher

Mais cette prise de position ne fait pas l'unanimité. Le psychiatre Matthis Schick n'est pas d'accord avec cette manière de faire. Si l'on n'arrive pas à se comprendre, on court à des erreurs d'appréciation et de traitement qui entraînent à coup sûr des coûts élevés.

Les maladies psychiques, par exemple, sont susceptibles de devenir chroniques à cause d'une mauvaise prise en charge due à un manque de communication, ce qui rendrait de nombreux patients dépendants de l'aide de l'État à long terme – de quoi augmenter considérablement les coûts.

Le médecin-chef exerce à la clinique de psychiatrie et de psychosomatique à l'hôpital universitaire de Zurich. Là-bas, le canton subventionne les interprètes qui interviennent dans les services psychiatriques ambulatoires en tant que solution transitoire, jusqu'à ce que l'on arrive, le psychiatre l'espère, à une réglementation nationale.

La barrière de la langue est aussi un risque pour les médecins

Pour l'instant, dans la plupart des hôpitaux, ce sont souvent les proches qui aident à traduire lorsque le patient et le médecin ne se comprennent pas. «Mais c'est justement dans le domaine de la psychiatrie et de la psychothérapie que cela pose problème. Un père suicidaire ne parlera pas en présence de sa fille sur son état véritable», note Matthis Schick.

Pour Franziska Neziri, l'interprétation est aussi favorable au personnel soignant: elle octroie une sécurité juridique forte au médecin. «Il peut partir du principe que ses instructions ont été comprises par le patient et qu'elles seront suivies», avance l'interprète. 

Aujourd'hui, la sécurité juridique est menacée. Et pour se protéger, les médecins «se refilent les patients comme des patates chaudes». Dans tous les cas, ce sont les patients qui finissent par payer les conséquences des mauvaises prises en charge et de l'incompréhension – parfois au prix de leur santé. 

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