L’investisseur Taylor Schmidt réclame des têtes chez Vail Resorts. Il accuse le géant américain d’avoir payé bien trop cher pour ses acquisitions en Suisse, notamment à Andermatt, dans le canton d'Uri, et à Crans-Montana, en Valais. Rien que pour la majorité à Andermatt, Vail aurait déboursé près de 155 millions de dollars.
Or, selon l’analyse de Taylor Schmidt, le domaine skiable n’a généré qu’un bénéfice opérationnel de 2,6 millions de dollars. Le prix d’achat représente donc 60 fois ce montant, un ratio bien au-delà des standards du secteur, qui oscillent plutôt entre 6 et 12 fois les bénéfices. C’est ce qu’indique son rapport de 88 pages dont Blick a pu consulter une copie.
Taylor Schmidt, via sa société d’investissement Late Apex Partner (LAP), détient des parts dans Vail. Il l'assure: cette opération est désastreuse pour les actionnaires. Du côté d’Andermatt, on se frotte pourtant les mains. L’ancien propriétaire, l’entrepreneur égyptien Samih Sawiris, conserve 40% des remontées mécaniques via sa société. Mais surtout, il a imposé une condition stratégique: plus de 70% du prix de vente devra être réinvesti dans la destination. Résultat, si Vail améliore encore un domaine déjà très moderne, la valeur des nombreux projets immobiliers de Sawiris grimpera elle aussi.
Investissements négligés
A Crans-Montana, la situation est bien moins favorable. L’ancien propriétaire des remontées mécaniques a laissé un lourd héritage. Selon le rapport de LAP, Vail a déboursé près de 141 millions de dollars pour un bénéfice opérationnel de seulement 5 millions. Une opération juteuse uniquement pour le vendeur, le milliardaire tchèque Radovan Vítek, qui avait négligé pendant des années les investissements dans le domaine skiable.
En 2023, Vail Resorts a promis d’investir 30 millions de francs en cinq ans à Crans-Montana. Cette année, 4 millions seront consacrés à l’enneigement. Le défi s'annonce difficile à relever pour les Américains: les installations de transport les plus récentes datent d’une dizaine d’années. Nombre de remontées mécaniques et de téléphériques affichent entre 30 et 60 ans au compteur. Dans le milieu, certains n’en reviennent pas. Pour beaucoup, Radovan Vítek n’aurait pas dû toucher plus qu’un franc symbolique tant les besoins d’investissements sont colossaux pour remettre le domaine à niveau.
Contactés, les responsables de Vail Resort ne commentent pas directement les sommes exorbitantes dépensées pour aquérir les deux stations suisses. «Nous sommes convaincus qu'Andermatt-Sedrun et Crans-Montana ont des chances de croissance uniques après notre reprise et notre investissement», écrit le chef de presse du groupe américain John Plack.
Pour l'investisseur Taylor Schmidt, le bilan des rachats des deux stations est loin d'être satisfaisant. Selon lui, les actionnaires risquent même de subir une perte de capital d'environ 180 millions de dollars. «Pour nous, il est incompréhensible que le management consacre son énergie à bâtir un empire alors qu'il y a des signes clairs de négligence opérationnelle en Amérique du Nord même», explique-t-il.
Des investissements élevés sans rendement
Vail Resorts est sous pression en raison de chiffres de croissance en berne. L’an dernier, l’entreprise n’a pu augmenter son chiffre d’affaires que grâce à une hausse des prix. Les ventes du forfait Epic Pass, pourtant au cœur de son modèle économique, ont légèrement reculé. Ce sésame donne accès à 42 stations appartenant au groupe ainsi qu’à un nombre similaire de domaines partenaires.
Pour l’instant, les deux domaines suisses constituent un frein à la rentabilité du groupe. Et pourtant, Vail a longtemps cherché à s’implanter en Europe pour y gagner des parts de marché. Une stratégie que Taylor Schmidt juge erronée. «Selon moi, le véritable potentiel de croissance à long terme pour Vail est de devenir le leader mondial des forfaits multi-stations. Leur concurrent Alterra y parvient déjà très bien, alors que Vail a encore tout à apprendre», analyse-t-il.
Depuis 2019, Vail a investi près de deux milliards de dollars dans ses stations, y compris pour ses acquisitions en Suisse. Pourtant, les résultats financiers ne sont pas au rendez-vous, souligne le rapport de LAP. Pour Taylor Schmidt, il existe un moyen tout simple d'évaluer la situation: «Le cours de l’action reste le meilleur indicateur de performance.» Et le constat est sans appel: la valeur de Vail a presque été divisée par deux en trois ans.
Vail Resort s'en tient à sa stratégie
Pour Taylor Schmidt, il est donc clair que «les problèmes viennent de la direction actuelle». Il réclame notamment le remplacement de la CEO de Vail Resort Kirsten Lynch et un recentrage de la stratégie du groupe sur l'expérience client. L'investisseur a déjà exprimé ses critiques dans deux lettres adressées à la direction du groupe.
La direction se défend
Cette dernière défend sa stratégie: selon elle, les résultats financiers prouvent son efficacité. Vail Resorts bénéficierait ainsi d’une solide trésorerie par rapport à ses concurrents du secteur du tourisme et des loisirs, et celle-ci aurait récemment connu une nette progression. En se concentrant sur l’exploitation de ses propres stations, Vail assure avoir une meilleure maîtrise de l’expérience client.
«Grâce aux données que nous détenons en tant qu’actionnaire majoritaire, nous pouvons investir de manière plus ciblée et directe dans nos domaines et dans la satisfaction des visiteurs», explique John Plack, responsable médias.
Pour l'heure, le bras de fer reste entier entre l’investisseur Taylor Schmidt et Vail Resorts. Et de grosses turbulences internes semblent se profiler pour les créateurs de l’Epic Pass.