Sarah T.* est arrivée en Suisse il y a plus de sept ans. Cette Britannique se décrit elle-même comme une «expat». Elle fait partie des professionnels hautement qualifiés partis à l’étranger sans renoncer à leur nationalité. Cette Britannique est arrivée en Suisse il y a plus de sept ans.
Employée au service marketing de Credit Suisse, elle se retrouve aujourd’hui sur la sellette: UBS ne souhaite pas la garder. Depuis plusieurs mois, elle suit un programme de coaching – une sorte d’étape transitoire avant la fin de son contrat. Si elle ne trouve pas de nouvel emploi d’ici mars, elle sera licenciée et devra s’inscrire au chômage.
«Nous pensions pouvoir nous installer durablement ici», confie cette quadragénaire. Mais elle envisage désormais de quitter la Suisse. Son mari, lui aussi actif dans la finance, reste en poste. Leurs enfants, eux, fréquentent une école internationale. Sarah parle peu allemand – suffisamment pour commander un vitello tonnato chez le boucher, mais pas assez pour décrocher un emploi.
Une bulle culturelle mise à mal
«Le marché est à sec. Le manque de maîtrise de la langue n’était pas un problème auparavant, mais il en est devenu un.» Comme beaucoup d’expatriés, Sarah et son mari évoluent dans un cercle anglophone, une bulle à la fois professionnelle, sociale et culturelle. Seulement, hors du secteur financier, la réalité est tout autre: la plupart des entreprises exigent des compétences en français ou en allemand. Ceux qui ne franchissent pas cette barrière se retrouvent exclus du marché.
Les services RH croulent sous les candidatures. La responsable du personnel d’un grand établissement financier confie, sous couvert d’anonymat, recevoir des milliers de dossiers chaque mois – le double par rapport à l’an dernier. Elle avait demandé un poste supplémentaire pour gérer cet afflux et répondre aux candidats, mais sa requête a été refusée.
Résultat: beaucoup de candidats ne reçoivent même plus de réponse… même négative. Quant aux candidatures spontanées, elles ne sont souvent même plus ouvertes.
Une communauté désespérée
Sur les réseaux sociaux, les témoignages d’expatriés qui ont perdu leur emploi et qui envisagent de quitter la Suisse se multiplient. «Je suis tombé en dépression et j’ai démissionné. Maintenant, je ne trouve plus de travail. Et je ne peux même pas m’inscrire au chômage», écrit un membre d’une communauté en ligne. Le risque pour lui est grand de devoir partir.
Il vit peut-être déjà illégalement en Suisse: selon le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), une personne qui se retrouve «volontairement sans emploi» perd en principe son droit de séjour à la fin de son contrat. Quant à ceux qui sont licenciés, ils doivent quitter le pays dès la fin de leur indemnisation, généralement après quelques mois.
Les chiffres ne sont pas encourageants. En septembre, quelque 133'000 personnes étaient inscrites au chômage en Suisse, soit un taux de 2,8%. En deux ans, le nombre de demandeurs d’emploi a bondi de près de 50%.
Parmi eux, 66'000 sont Suisses et 67'000 étrangers, dont 41'000 originaires d'un pays de l’UE ou de l’AELE, et environ 26'000 de pays tiers. Le taux de chômage s’élève à 2% pour les Suisses, 4,3% pour les citoyens de l’UE/AELE et 6,1% pour ceux issus d’Etats tiers.
Taux de chômage: des stats biaisées?
Mais ces statistiques ne reflètent qu’une partie de la réalité: selon les standards internationaux, le chômage inclut aussi les personnes en recherche active d’emploi. En appliquant ce calcul, le taux de chômage en Suisse atteint déjà 4,7%, contre 4,1% un an plus tôt.
Le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) ne distingue pas les chiffres selon la nationalité, mais il est probable que le chômage touche davantage les travailleurs étrangers. Les emplois de services sont d’ailleurs plus touchés que les métiers manuels: 2,9% de chômage dans la construction, contre environ 3,1% dans la finance.
La tendance est particulièrement marquée dans le canton de Zurich, cœur de la place financière suisse. Depuis la débâcle de Credit Suisse en 2022, le nombre de chômeurs provenant du secteur bancaire augmente chaque mois. En septembre 2025, 2259 personnes étaient inscrites au chômage dans le canton, dont plus de 1200 anciens employés de banque – une hausse de 75% depuis fin 2022.
Licenciements en vue chez UBS
A Zurich, une personne au chômage sur dix provient désormais du secteur financier, signe que les banquiers licenciés peinent de plus en plus à être réintégrés sur le marché du travail. La situation est d’autant plus tendue que d’autres établissements, comme Julius Baer ou la société boursière SIX, ont, eux aussi, annoncé des réductions d’effectifs. Parallèlement, le nombre d’offres d’emploi publiées diminue, aggravant encore la conjoncture.
La fusion entre Credit Suisse et UBS étant à bout touchant, de nouvelles vagues de licenciements sont attendues dans les prochains mois. Au premier trimestre 2026, les derniers clients de Credit Suisse doivent être transférés vers les systèmes d’UBS, avant la mise hors service progressive des anciens serveurs.
Le plan social d’UBS prévoit un accompagnement prolongé pour les employés touchés, afin de leur laisser le temps de rebondir. Des programmes de coaching sur plusieurs mois visent à éviter ou à retarder le passage par la case chômage, comme dans le cas de Sarah T.
De plus en plus d'expats s'en vont
De plus en plus de travailleurs étrangers, eux, font leurs valises et quittent réellement la Suisse. Les chiffres le confirment: si la main-d’œuvre étrangère continue d’affluer, les départs augmentent simultanément.
Au premier semestre 2025, la hausse nette de la population étrangère résidente a reculé de 6792 personnes, pour atteindre 34'171. Le solde migratoire des ressortissants de l’UE et de l’AELE a diminué de 3391 personnes, celui des ressortissants de pays tiers de 3401.
Rien ne dit que Sarah T. et sa famille pourront rester en Suisse. «Avec le seul salaire de mon mari, ce n’est pas viable», confie-t-elle. Ils devraient revoir leur niveau de vie à la baisse et inscrire leurs enfants à l’école publique.
Elle ne compte plus le nombre de candidatures envoyées et explore désormais des pistes à l’étranger, en Espagne, notamment, où l’économie se porte bien. Revenir dans son pays natal, le Royaume-Uni, n’est pour l’instant pas une option.
*Nom modifié