Changement de cap pour notre voisin allemand, et pour nous aussi par conséquent. Dès son entrée en fonction la semaine dernière, le nouveau ministre de l'Intérieur, Alexander Dobrindt, a annoncé un renforcement des contrôles policiers à la frontière allemande.
L'objectif de ce changement est de refouler les demandeurs d'asile. Seulement voilà: la Suisse n'a pas été concertée avant ce durcissement de politique migratoire allemande. L'annonce d'Alexander Dobrindt a donc été vivement critiquée par le Département fédéral de justice et police (DFJP), en particulier le conseiller fédéral Beat Jans (PS), sur X.
Même si les frontières intérieures de l'espace Schengen ont été abolies, de nombreux Etats contrôlent quand même leurs frontières nationales. Le site Internet de la Commission européenne recense actuellement douze pays qui ont temporairement réintroduit les contrôles aux frontières. Parmi ceux-ci se trouvent l'Allemagne, qui dit subir une forte pression migratoire.
Si ce contrôle aux frontières allemandes n'est pas nouveau, pourquoi l'annonce de la semaine dernière a-t-elle suscité autant d'agitation? Sarah Progin-Theuerkauf, professeure de droit européen et des migrations à l'université de Fribourg, nous répond: «La nouveauté, c'est que les demandeurs d'asile pourront aussi être refoulés aux frontières, et plus seulement les migrants sans papiers valables pour l'espace Schengen».
L'Allemagne ne joue pas le jeu
Pourtant, le refoulement des demandeurs d'asile est interdit dans l'espace Schengen et les demandeurs doivent toujours avoir accès à une procédure d'asile. Le règlement de Dublin indique aussi qu'en cas de demande d'asile, le pays chargé de traiter la demande peut être identifié après l'arrivée du demandeur sur le territoire.
De ce fait, le premier pays d'entrée du demandeur dans l'espace Schengen – souvent appelé «Etat-tampon» – peut renvoyer la personne dans le pays responsable de la demande. «Un Etat ne peut pas simplement se déclarer incompétent, comme veut le faire l'Allemagne», souligne Sarah Progin-Theuerkauf.
En effet, la responsabilité d'un Etat pour traiter une demande d'asile ne se décide pas en un clin d'œil. Si un Etat ne peut pas identifier un autre pays comme étant compétent, alors la responsabilité lui revient et c'est à lui de traiter la demande, d'après le règlement de Dublin.
En ce qui concerne la Suisse, elle fait partie des accords de Schengen et de Dublin et doit se plier à ces règles. Pour Sarah Progin-Theuerkauf, ces durcissements à la frontière allemande vont donc poser problème à la Suisse: «Les refoulements aux frontières ont un effet domino, car les demandeurs d'asile restent de toute façon bloqués quelque part».
La Suisse doit-elle s'accommoder de cette situation? Le DFJP a annoncé sur X réfléchir à des mesures, sans dire précisément lesquelles. La professeure de droit Sarah Progin-Theuerkauf affirme que la Commission européenne pourrait mener une procédure d'infraction contre l'Allemagne mais une telle démarche prendrait des années et se solderait tout au plus par une amende. La Suisse est donc bien démunie face à cette situation.
Elle peut éventuellement essayer de faire pression en abordant le sujet au sein du comité mixte, l'organe compétent avec des représentants de l'UE, et en se retirant de l'accord. Mais sortir de cet accord laisserait la place à des flux migratoires non régulés et à un véritable chaos.
«Personne n'est satisfait du système de Dublin»
La sécurité des frontières allemandes n'est pas le seul problème suisse avec les accords de Dublin. Depuis plusieurs années déjà, l'Italie ne reprend pas les réfugiés venant de Suisse ou d'autres pays, même si elle en a la responsabilité.
La situation actuelle avec l'Allemagne est un épisode de plus dans l'intensification du débat sur l'asile en Europe, explique Sarah Progin-Theuerkauf. «Personne n'est satisfait du système de Dublin. Tout le monde rejette la responsabilité des demandeurs d'asile sur les autres. Il n'y a pas de clé de répartition à l'échelle européenne et quasiment pas de solidarité».
Et cela ne changera pas à l'avenir, parce que le pacte sur l'asile et la migration, qui entrera en vigueur l'année prochaine, n'apporte pas de véritables solutions et que de nombreux Etats ont pris un virage politique à droite.