Et soudain, elle franchit la porte. Helene Budliger Artieda est arrivée, longs cheveux blonds, robe bleu foncé, maquillage discret aux tons automnaux, juste la bonne quantité de bijoux en or. Un sac à main en cuir beige pend à son bras. Tout en elle paraît sobre. La sexagénaire se fond presque dans le cortège de journalistes entassés dans la salle de conférence exiguë. Cette première impression est pourtant trompeuse. L'atmosphère change lorsqu'elle rejoint sa place, s'assied, pose à côté d'elle son sandwich, son smartphone et son étui à lunettes, ouvre le dossier sur la table, le feuillette et soupire bruyamment. Elle appelle immédiatement son attaché de presse, qui se tient près de l'entrée. Elle est mécontente: il manque dans ses dossiers le papier sur lequel elle voit qui parle et quand.
Helene Budliger Artieda est secrétaire d'État et directrice du Secrétariat d'État à l'économie (SECO) depuis trois ans. Elle est responsable de 700 employés à temps plein et d'un budget de 1,14 milliard de francs. Ce jour-là, elle a invité les médias à Berne pour un entretien de fond avec elle et son équipe. Elle le fait régulièrement: expliquer de manière confidentielle ce qui se passe au SECO et répondre aux questions critiques. En général, quelques journalistes économiques sont présents. Aujourd'hui, ce sont plus de trente représentants des médias, dont des journalistes allemands, qui ont fait le déplacement.
Budliger Artieda est actuellement l'une des femmes les plus influentes de la Berne fédérale. Sa mission: faire baisser les droits de douane punitifs américains. Après que Donald Trump a brandi ses pancartes tarifaires dans le jardin de la Maison Blanche en avril, elle s'est rendue sept fois aux Etats-Unis pour négocier, rencontrant des ministres et des économistes. Elle a fait ce qu'elle sait faire de mieux: réseauter, dialoguer, écouter. Mais le 1er août, le président américain Donald Trump a soudainement imposé à la Suisse des droits de douane de 39%.
Et voilà que cette semaine, mardi, elle a repris l'avion en direction des Etats-Unis afin de mener d'autres négociations, comme l'a confirmé un porte-parole du SECO à Blick. Le conseiller fédéral Guy Parmelin l'a rejoint vendredi, tard dans la nuit. Tous deux sont cependant, depuis samedi, de retour en Suisse. Guy Parmelin évoque des «discussions constructives».
Un mélange de Bünzli et de punk
Le destin de la Suisse, notre bien-être, repose entre les mains de cette femme. Cette dernière serait aussi sous les feux de la rampe pour une seconde raison: une prétendue lutte de pouvoir avec la présidente de la Confédération, Karin Keller-Sutter. Mais qui est Helene Budliger Artieda? Comment en est-elle arrivée là? Et est-elle la bonne personne pour sortir la Suisse de ces pénalités douanières? Blick s'est entretenu avec des parlementaires, des fonctionnaires et des hommes d'affaires. Un tablleau qu'elle a elle-même peint un jour se révèle: un mélange de Bünzli et de punk.
Budliger Artieda travaille dur, voyageant à l'étranger à 17 reprises rien qu'en 2024 pour des missions. Elle demeure néanmoins modeste. Rares sont les interviews sur ses succès dans lesquelles elle ne souligne pas le travail de ses collaborateurs, de son supérieur, le conseiller fédéral Guy Parmelin, ou d'un négociateur. Cela correspond à son goût pour les procédures rigoureuses: elle affirme par exemple vérifier ses notes de frais dans les moindres détails pour ne pas surfacturer un seul franc. En revanche, elle n'hésite pas à se mettre en porte-à-faux, refusant de se plier aux règles du jeu. Elle brise les tabous lors des négociations – comme on l'entend dire – en faisant des suggestions qui étaient auparavant considérées comme des limites à ne pas franchir et observant la réaction de son interlocuteur.
Tout cela ne va pas de soi. Helene Budliger Artieda a débuté dans un tout autre monde. Elle a grandi à Dübendorf, dans la banlieue zurichoise, au sein d'une famille de deux filles. Diplômée d'une école de commerce, elle se destinait initialement à l'hôtellerie. Mais par hasard, elle tombe sur une annonce dans un journal: le ministère des Affaires étrangères recherche du personnel pour son ambassade à l'étranger. Helene Budliger commence comme secrétaire au Nigeria, servant du café à l'ambassadeur suisse. Après d'autres affectations aux Etats-Unis et en Amérique du Sud, elle étudie la gestion d'entreprise en Colombie à l'âge de 30 ans, ce qui pose les bases d'une étape importante en 2008: la ministre des Affaires étrangères de l'époque, Micheline Calmy-Rey, la promeut au poste de directrice des ressources, responsable du personnel de tous les ambassadeurs. Elle est la première femme à occuper ce poste. Elle est ensuite ambassadrice en Afrique du Sud, et plus récemment en Thaïlande.
L'histoire de son ascension est exemplaire pour la Suisse, où, contrairement à d'autres pays, il est possible d'atteindre de hauts sommets sans doctorat. Or, même si le chemin a été semé d'embûches, une personne a joué un rôle crucial dans son histoire: son mari Alex Artieda de la Sotta.
«Sans lui, tout cela ne serait pas possible», a-t-elle déclaré un jour à la «Handelszeitung» (HZ). Elle vit avec lui à Eich (LU), au bord du lac de Sempach. Ils se sont rencontrés au Pérou dans les années 1990, alors qu'ils faisaient du parapente. A l'époque, Helene Budliger était employée à l'ambassade de Suisse. Son mari a travaillé commeinformaticien pendant de nombreuses années et s'occupe désormais du ménage, des paiements et de la cuisine. Il se consacre entièrement à sa passion: le radioamateurisme. Pour cela, il construit des appareils et tente d'établir des liaisons radio. Il partage cela avec sa femme, écrit-il sur son site Internet.
Alex Artieda la soutient. C'est très important pour les femmes, a-t-elle déclaré à la HZ: «Il a toujours cru en moi». Surtout quand beaucoup ne le faisaient pas.
De «l’accident de travail» au «coup de chance»
Lorsque le Conseil fédéral a nommé Helene Budliger Artieda à la tête du SECO en 2022, certains journalistes et représentants du monde des affaires ont fait la grimace. Nombreux disaient qu'elle n'avait que trop peu d'expérience dans le monde de l'économie. Plus encore, elle était un «accident industriel». C'était difficile, comme elle l'a confié à la «Revue de l'hôtel»: «J'ai toujours été 'l'outsider' partout». L'inconnue que personne n'avait dans son radar. Sous-estimée.
Johannes Matyassy a travaillé en étroite collaboration avec elle, occupant les fonctions de directeur de la Direction consulaire et secrétaire d'État adjoint au département des Affaires étrangères jusqu'à sa retraite en 2023. Ce dernier le sait: ce rôle d'outsider a aussi ses avantages. Helene Budliger Artieda est habituée à ce qu'on ne lui fasse pas de cadeau. Elle a dû se battre pour tout: «C'est pour cela qu'Hélène est si douée.», et il n'est pas le seul à le dire.
Franz Grüter est entrepreneur et siège à la Commission des affaires étrangères (CAE) du Conseil national pour l'UDC. Comme Helene Budliger Artieda, il vit à Eich et la voit lorsqu'elle s'adresse à la CAE concernant des questions vis-à-vis des accords de libre-échange avec l'Inde ou le Mercosur, ou sur les droits de douane punitifs américains. L'entrepreneur affirme n'avoir plus jamais entendu les critiques de l'époque à l'égard de la négociatrice. «Les voix critiques se sont tues.»
Helene Budliger Artieda a convaincu l'entrepreneur. Elle maîtrise parfaitement la politique intérieure et sait précisément quels aspects d'un accord de libre-échange sont politiquement sensibles. D'après lui, elle est même une aubaine pour le SECO. C'est aussi ce que dit le monde des affaires envers qui, elle a fait ses preuves. Mot-clé: l'accord avec l'UE.
Pendant longtemps, il n'y avait pas d'accord entre employeurs et syndicats vis-à-vis de la protection des salaires. Jusqu'à ce qu'Helene Budliger Artieda vienne mettre de l'ordre. Elle a écouté les deux parties, identifié les terrains d'entente et des compromis possibles. En même temps, selon un participant aux négociations, elle gardait les pieds sur Terre, plaisantant un instant, puis exprimant son opinion aux hommes présents. Tout le monde reconnaît son style: très direct, mais jovial.
Aussi affirmée que Margaret Thatcher
On ressent rapidement que si Helene Budliger Artieda veut quelque chose, alors elle ne lâche pas prise. Johannes Matyassy a résolu avec elle des dossiers consulaires délicats lorsqu'elle était ambassadrice en Thaïlande. Un cas marquant se distingue: un jeune Suisse a été emprisonnée pour trafic de drogue. Helene Budliger Artieda et lui auraient lu le dossier et immédiatement compris que le jeune homme était victime d'un coup monté. Par la suite, elle s'est engagée «jusqu'au bout» pour lui. Elle a déployé tous les efforts possibles, allant jusqu'aux plus hautes sphères du gouvernement. Johannes Matyassy déclare même que: «Cela allait bien au-delà d'une simple application des règles.»
Le Suisse a été libéré. Elle a réussi à négocier un accord entre les deux parties belligérantes sur l'accord avec l'UE. Et l'accord de libre-échange avec l'Inde n'existerait pas sans elle. Son principe de réussite: essayer et voir jusqu'où on peut aller.
Ce qui l'aide, selon son ancien collègue, c'est qu'elle «peut jouer des coudes si nécessaire». Le conseiller national UDC Franz Grüter lui rappelle l'ancienne première ministre britannique Maggie Thatcher, la «Dame de fer». «Budliger aussi a toujours un petit sac à main avec elle». Et une présence comparable.
Lors d'apparitions ou de réunions avec Guy Parmelin, on a parfois l'impression qu'il n'est pas le patron, dit-on dans l'administration. Elle s'arroge le rôle de leader. Une situation similaire s'est produite lors d'une table ronde, organisée par UBS, sur les droits de douane américains. Le modérateur de la discussion a tenté de poser une question, mais sans succès. Helene Budliger Artieda a levé le doigt et a tout simplement noyé la question: «Attendez ! Laissez-moi finir». Elle s'impose, sans colère, uniquement par la force de sa voix.
Mais cela a aussi un côté sombre. Helene Budliger Artieda aime parler: elle parle avec substance, mais souvent sans retenue, comme un train qui, une fois lancé, ne peut plus être arrêté. Elle parle sans filtre également, de beaucoup de choses avec tout le monde – un secret de polichinelle parmi les journalistes. Fin juin, elle a en toute franchise déclaré aux médias qu'ils étaient «en phase finale» de signature d'un accord avec l'administration Trump. Cette volonté d'informer la rend sympathique, car elle apparaît accessible. En revanche, cela la rend vulnérable. Surtout pour une femme avec son poste.
Après les fuites, les critiques pleuvent
C'est peut-être pour cela qu'elle est désormais sous pression. Il s'agit là probablement de la raison pour laquelle elle ne donne plus d'interviews actuellement. Récemment, la «NZZ am Sonntag» a récemment révélé sa proximité avec l'ex-ambassadeur et lobbyiste Thomas Borer. Tous deux ont travaillé à l'ambassade de Suisse au Nigeria dans les années 1980. Aujourd'hui encore, ils seraient régulièrement en contact, écrit le journal. Un porte-parole du SECO a confirmé ce contact.
Lorsque le choc tarifaire a frappé la Suisse début août, Thomas Borer s'est fait remarquer à travers ses déclarations dans les médias. Il a divulgué des informations qui ne peuvent provenir que de son entourage, sur des sujets explosifs, comme les concessions que le Conseil fédéral était prêt à faire pour obtenir un meilleur accord de Trump offrir – par exemple, des investissements de plusieurs milliards dans l'industrie pharmaceutique ainsi que des importations de viande de bœuf, de gaz liquide et d'armes en provenance des Etats-Unis. Le Conseil fédéral n'a pour l'instant dit mot à ce sujet.
Une histoire similaire s'est produite peu après l'appel téléphonique raté entre la présidente de la Confédération et Trump. Helene Budliger Artieda a reçu un SMS de Washington lors de cet entretien, demandant à Karin Keller-Sutter d'immédiatement mettre fin à la conversation téléphonique. Cela a également fait la une du journal.
Lutte de pouvoir avec la présidente?
L'histoire a désormais pris une autre tournure. Il est question d'une «lutte de pouvoir» entre la présidente de la Confédération et la directrice du SECO. L'ancien directeur consulaire Johannes Matyassy affirme connaître les deux femmes. Il estime que cette dispute est une invention médiatique: «Helene Budliger Artieda est une personne très loyale.»
Et qu'en dit-elle elle-même? Interrogé, le SECO écrit: Helene Budliger Artieda est «une fonctionnaire fédérale nommée par le Conseil fédéral et respecte le secret de fonction». La collaboration entre le département des finances de Karin Keller-Sutter, le SECO et leurs dirigeants fonctionne «très bien». L'institution s’abstient de tout commentaire sur «les accusations anonymes et les insinuations infondées».
Helene Budliger Artieda est maintenant retournée aux Etats-Unis. Sa confiance en elle semble intacte. Beaucoup s'accordent à dire qu'elle et son équipe ont bien négocié jusqu'à l'entrée en vigueur du marteau tarifaire de Trump en août. Et: si quelqu'un peut négocier avec les Américains, c'est bien cette femme.