Les souvenirs refont surface. Il s'en est fallu de peu pour que Schuan Tahir ne devienne citoyen suisse en 2023. Cette année-là, il réussit son test de naturalisation sans problème et parle un allemand impeccable. La commune, la Confédération et le canton donnent alors leur accord. Mais les autorités font alors volte-face et finissent par tirer le frein d'urgence… pour une broutille. L'erreur fatale de Schuan Tahir? Avoir rapporté trop tard les plaques d'immatriculation de sa voiture qu'il venait de vendre.
Au milieu de la vieille ville animée de Soleure se trouve le café de Schuan Tahir. L'hôte est assis à une petite table devant une grande baie vitrée. Il fait constamment signe aux passants. Il connaît la moitié de la ville, et presque toute la ville le connaît. «Si j'avais vraiment fait quelque chose de mal, tout Soleure le saurait immédiatement», dit-il en riant.
Jusqu'à présent, Schuan Tahir a gardé le silence sur son cas. Mais c'est en découvrant l'histoire d'un restaurateur de Suisse centrale que ses souvenirs ont refait surface. Un restaurateur turc de Goldau (SZ) s'est battu pour obtenir son passeport. Fatigué, l'homme s'est assis au volant et s'est endormi avant d'avoir un accident. C'est pourquoi – malgré une excellente intégration et 31 ans passés en Suisse – la Confédération lui a refusé la citoyenneté.
«J'étais follement déçu»
L'histoire résonne auprès de Schuan Tahir. Il secoue la tête. Il a gagné sa vie tout seul, en se battant. Il n'a pas eu d'accident, n'a jamais touché d'aide sociale, n'a pas commis de délit. Seule une plaque d'immatriculation est restée sur la table de sa cuisine lorsqu'il a vendu sa voiture. «Je travaille dans l'entreprise du matin au soir, six jours par semaine», dit-il. Les préparatifs commencent à 7h30, il ferme à 18h00, parfois plus tard en été. Du temps libre? Il en a mais il est très limité. Raison pour laquelle il a oublié de rapporter les plaques.
Les conséquences sont dramatiques: une amende, une inscription dans son casier judiciaire et l'interruption de la procédure de naturalisation. Le 4 juillet 2023, Schuan Tahir reçoit l'ordonnance pénale dans laquelle il peut lire: «Le prévenu s'est rendu coupable des faits suivants: Non-remise de documents d'identité et de plaques de contrôle. Période d'infraction: du 11.04.2023 au 05.05.2023.» La peine: 5 jours-amende à 60 francs chacun, avec sursis et 400 francs de frais de procédure.
Peu de temps après, une lettre de la commune soleuroise est arrivée. La naturalisation n'était plus à l'ordre du jour. «J'étais follement déçu et triste», dit-il. «C'est clair, je reconnais avoir fait une erreur. Et c'est pourquoi j'ai payé l'amende sans broncher.» Mais interrompre toute la procédure de naturalisation? «Je ne comprends pas. Je ne suis pas un criminel. Ce qui m'est arrivé peut arriver à tout le monde.»
«J'ai toujours travaillé»
Entre-temps, Schuan Tahir a passé plus de la moitié de sa vie à Soleure et dans les environs. Il est arrivé en 1998 en tant que réfugié, il a dû quitter l'Irak pour des raisons politiques, à savoir la dictature de Saddam Hussein.
Mais en Suisse, il a fait ses preuves. «J'ai toujours travaillé», dit le propriétaire du café. Il a été employé à l'usine de montres ETA, a aidé dans la cuisine d'une auberge de montagne. Puis il a fondé un magasin de kebabs, qui existe toujours aujourd'hui. Et a longtemps tenu un bar qui est rapidement devenu célèbre dans la ville. Tout Soleure le fréquente. Puis, il y a dix ans, il a décidé d'ouvrir son café. Il voulait travailler davantage pendant la journée.
Le Tribunal fédéral estime que des changements sont nécessaires
L'arrêt du Tribunal fédéral rendu dans le cas du restaurateur turc donne de l'espoir à Schuan Tahir, même si cela ne lui sert plus à rien. La plus haute juridiction helvétique a en effet décidé que l'accident avait été considéré comme un délit trop important dans la procédure de naturalisation. A l'avenir, les autorités pourraient éventuellement disposer d'une plus grande marge de manœuvre… contrairement à l'évaluation de l'intégration, où les autorités ont toujours les mains liées lorsqu'il y a eu un délit. Une naturalisation n'est alors plus possible.
Schuan Tahir lui-même n'a jamais porté son cas devant la justice. Mais son inscription au casier judiciaire sera effacée dans quelques mois. Il pourra à nouveau déposer une demande de naturalisation. Et recommencer de zéro. Il est clair pour lui qu'il suivra cette voie car il n'a qu'une seule patrie: Soleure. Dehors, des connaissances passent. Il les salue.