Un voleur a arraché le téléphone portable des mains de Sofie Lehner* et a pris la fuite. La jeune femme, bien entraînée, l'a poursuivi. Une bagarre a éclaté. À la suite d'un mouvement de rotation avec sa jambe, elle a immédiatement ressenti une violente douleur au genou. Elle s'est vue forcée à laisser partir le voleur. Le diagnostic médical a révélé une blessure combinée au le ligament interne, au ménisque et au ligament croisé. Une question s'est dès lors immédiatement posée: faut-il opérer ou non?
«Un orthopédiste m'a vivement conseillé l'intervention, un deuxième me l'a tout aussi vivement déconseillée», raconte Sofie Lehner: «J'ai décidé de suivre la voie sans opération.» Elle a été soutenue dans cette voie par Daniel Piller, un ostéopathe. Aujourd'hui, elle peut à nouveau faire du sport de manière intensive. «C'était la bonne décision», affirme la jeune femme.
Menace d'une interdiction complète d'exercer
Le Bernois Daniel Piller a étudié la physiothérapie. Puis, il a suivi une formation d'ostéopathe en cours d'emploi pendant cinq ans. En 2012, il a terminé son master à la Haute école spécialisée d'Innsbruck en Autriche, et a ensuite commencé à pratiquer en Suisse. Selon sa propre estimation, il est mieux formé que la plupart des ostéopathes travaillant Suisse. Aujourd'hui, il est menacé d'une interdiction totale d'exercer en raison d'une modification de la loi. En effet, à partir de 2025, seules les personnes qui ont étudié en Suisse ou qui détiennent un diplôme jugé équivalent pourront encore pratiquer l'ostéopathie en Suisse. Cette dernière condition n'est pas remplie dans le cas de Daniel Piller.
En Suisse, de nombreux ostéopathes sont dans la même situation que lui. La raison à cela est simple: une offre de formation pour cette forme de médecine alternative n'existe pas depuis longtemps en Suisse. Ce n'est que depuis 2014 que la Haute école de santé Fribourg propose un Bachelor en ostéopathie. Le nombre annuel de participants est limité à 30, et ce n'est qu'en 2019 que les premiers diplômes ont été décernés.
«Pratique hautement protectionniste»
La plupart des ostéopathes actifs sont donc titulaires d'un diplôme étranger. L'Association des ostéopathes académiques suisses (AOAS), basée à Zurich, estime leur nombre à plusieurs centaines.Pour ce qui est des diplômes suisses, c'est la Croix-Rouge suisse qui est responsable de les examiner. Mais les autorisations sont difficiles à obtenir: l'organisation ne reconnaît presque aucun diplôme de étranger. En 2021, elle n'en a accordé que trois autorisations et en 2020, aucune. Dans une prise de position, l'AOAS parle d'une «pratique de reconnaissance hautement protectionniste» de la Croix-Rouge.
L'organisation considère que les diplômes de master de la haute école spécialisée d'Innsbruck, comme celui de Daniel Piller, ne sont pas comparables aux papiers en Suisse. Mais cette appréciation a valu à la Croix-Rouge d'être déboutée par le Tribunal administratif fédéral. La plainte avait été déposée par Emanuel Diekmann, naturopathe à Coire qui – comme Daniel Piller – est titulaire d'un master de la haute école spécialisée d'Innsbruck. Dans son cas, la Croix-Rouge avait carrément refusé d'examiner l'équivalence de son diplôme. La raison invoquée: en Autriche, ni la profession ni la formation ne sont réglementées. Mais le Tribunal administratif fédéral a vu les choses différemment. Les juges ont estimé que le diplôme d'Emmanuel Diekmann était bien une attestation de formation reconnue par l'État. La Croix-Rouge a donc dû revoir sa copie.
La Croix-Rouge persiste et signe
Mais la commission compétente de l'organisation a de nouveau refusé de reconnaître le diplôme d'Emmanuel Diekmann. Cette fois-ci avec un autre argument: le profil professionnel d'un osthéopathe en Autriche n'est pas le même en Suisse. En Autriche, le patient doit être envoyé chez un ostéopathe par un médecin. En Suisse, les ostéopathes peuvent également travailler en tant que «primo-intervenants». L'orientation par un médecin n'est pas nécessaire. Cela implique que les ostéopathes puissent poser un diagnostic médicalement fondé.
Ils doivent donc être capables de distinguer les troubles qui peuvent être guéris par une thérapie ostéopathique et les problèmes qui feraient mieux d'être traités par la médecine classique. En raison de ces différences, la Croix-Rouge a donc conclu qu'il ne s'agissait pas de la même profession, ni même d'une profession équivalente. Elle n'est donc pas entrée en matière.
Une violation de l'interdiction de discriminer?
Une expertise parvient à une autre conclusion. Elle a été rédigée à la demande de l'AOAS par Astrid Epiney, qui enseigne le droit européen à l'université de Fribourg. Elle a examiné les conditions dans lesquelles il faut entrer en matière sur une demande de reconnaissance de diplôme. Sa conclusion: la comparabilité des professions ne peut être niée que s'il existe de très grandes différences entre les domaines d'activité en question. Le seul caractère de «premiers soins» d'une activité ne suffit pas.
Et quand bien même les similitudes ne seraient pas flagrantes, il faudrait vérifier si un refus de reconnaissance ne violerait pas l'interdiction de discriminer inscrite dans l'accord sur la libre circulation des personnes. Une non-entrée en matière «en bloc» sur une demande de reconnaissance de diplôme est inacceptable dès le moment où des pans entiers du métier sont les même dans le pays d'origine et le pays d'accueil. «L'argumentation de la Croix-Rouge semble donc peu convaincante», conclut Astrid Epiney.
La CRS ne souhaite pas s'exprimer sur le cas d'Emmanuel Diekmann en raison de la procédure en cours. «Dans la procédure de reconnaissance de diplôme, nous devons nous en tenir aux bases légales en vigueur. Les adaptations de ces lois ne relèvent pas des compétences de la Croix-Rouge», fait savoir une porte-parole de l'organisation.
Le Tribunal administratif fédéral aura le dernier mot
Le dernier mot reviendra à nouveau au Tribunal administratif fédéral. Il est bien possible qu'il renvoie le cas à la Croix-Rouge pour un nouveau jugement. Mais les ostéopathes concernés n'ont donc beaucoup de temps. En effet, ils devraient être en possession d'un diplôme reconnu d'ici février 2025. Au vu de la rapidité avec laquelle la CRS et les tribunaux ont agi jusqu'à présent, cela relève de l'impossible.
Du haut de ses jambes à nouveau intactes, Sofie Lehner ne comprend pas ce bras de fer juridique.«Daniel Piller m'a accompagnée médicalement et humainement dans une période difficile. Sa compétence ne fait aucun doute pour moi. Je trouve absurde l'idée qu'il soit interdit d'exercer sa profession pour un prétendu manque de connaissances et de compétences.»
*nom d'emprunt