Le rituel est immuable: chaque jour, l’OFSP annonce aussi sur les réseaux sociaux le nombre de cas de coronavirus et différentes autres données (taux de positivité, nombre de tests, nombre d’hospitalisations etc.). Sur Twitter, plusieurs utilisateurs commentent et offrent des analyses de l’évolution du nombre de cas. Ces analystes indépendants permettent de mieux comprendre la masse de données à disposition. Blick a questionné l'un d'entre eux, Thorsten Kurz, sur ses motivations et son analyse de la situation d’un point de vue purement statistique.
L'ingénieur et spécialiste en analyse de données met immédiatement les choses au point: «Lorsque l'on parle des personnes qui tiennent le public informé, il est important de ne pas oublier de mentionner des scientifiques comme Isabella Eckerle, Antoine Flahault ou Dominique de Quervain qui n’ont cessé de nous mettre en garde mais n’ont malheureusement pas été suffisamment écoutés».
Vagues prévisibles
Car il est vrai qu'ils ont systématiquement prédit les différentes vagues. «Mais nous ne sommes pas des oracles, rigole cet Allemand expatrié à Lausanne. Les données publiées par l'OFSP au jour le jour permettent d'identifier rapidement les évolutions et les tendances. Si une tendance se poursuit à l’avenir, cela dépend de facteurs tels que la météo, les vacances, la communication des médias ou du Conseil fédéral et le comportement de la population.»
En ce sens, l'analyste a en revanche apprécié la communication transparente de Patrick Mathys (OFSP) et Samia Hurst (Task Force), mardi après-midi. «Le fait qu’ils aient été aussi clairs sur l’évolution possible pourrait avoir une influence positive. Si les circonstances restent les mêmes, le comportement de la population et la transmission du virus ne changent en général pas et son développement se poursuit. Mais je tiens à dire que nous pouvons également être surpris par certaines évolutions.» Et Thorsten Kurz de donner un exemple concret d'une évolution qui était surprenante pour lui: «Je ne m’attendais pas à voir une baisse aussi significative des chiffres d’avril à début juin lorsque les ouvertures ont été importantes».
Si notre analyste (et les autres) ne sont pas des oracles, comment font-ils pour prédire les vagues à venir? Il faut quelques notions de mathématiques somme toute assez basiques. Moyen le plus aisé pour Thorsten Kurz: «simplement» placer les valeurs quotidiennes sur une échelle logarithmique. «De ce fait, la croissance exponentielle des chiffres est visible», précise-t-il.
En clair, cela permet de mieux mettre en perspective le taux de reproduction. Si un malade infecte plus d’une autre personne – ce qui est le cas actuellement –, l’augmentation des cas va devenir exponentielle. «Et donc cela nous permet de le déceler rapidement.» Une augmentation de 20 à 40 cas d’une semaine à l’autre pourrait laisser croire que la situation est sous contrôle alors qu’un doublement du nombre de cas dans un délai d’une semaine est un moyen fiable de constater la présence d’une exponentielle. Tendance d’ailleurs suivie par la Suisse actuellement.
Pourquoi Thorsten Kurz se livre-t-il à ces analyses quotidiennes? «J’ai remarqué assez tôt, en janvier 2020, qu’il y avait un problème en Chine, nous explique-t-il. A mesure que l’épidémie (puis la pandémie) s’est développée, il a axé sa surveillance sur la Suisse. «Les données étaient publiées de manière transparente par l’OFSP pour la Suisse et par Johns Hopkins University au niveau du monde entier et nous avons remarqué en février 2020 que nous allions avoir un problème.»
A mesure que le coronavirus a progressé dans la population, les graphiques sont devenus de plus en plus «léchés» visuellement. Incidence par canton, par tranche de population ou progression de l’épidémie de semaine en semaine.
Début juillet, Thorsten Kurz a mis en garde l’OFSP contre le début d’une croissance exponentielle des cas. Certes avec un faible échantillon, mais la tendance était déjà là. «Les signaux ont existé avant la première vague, avant la seconde et avant la troisième. Mais, à chaque fois, nous avons attendu d’être dépassés par les cas. Cela m’agace lorsque j’entends l’OFSP ou le Conseil Fédéral dire qu’ils n’ont rien vu venir.»
Il ne fait pas une affaire personnelle de n’avoir pas été écouté. «Un tweet moyen a une portée d’environ 3’000 vues. Un ou l’autre peut avoir une audience plus grande et j’en ai même un qui a passé les 100’000 affichages. Mais j’ai conscience que c’est pour une niche de personnes intéressées qui suit l’évolution de la pandémie sur Twitter.» Il n’a d’ailleurs jamais été contacté par Alain Berset. «Ni par l’un de ses assistants», rigole-t-il.
Traduction: Du côté de l’OFSP, on remarque déjà l’augmentation des chiffres. Mais on préfère attendre que le nombre d’hospitalisations augmente avant d’envisager une réaction.
Mais pour l’OFSP, impossible d’ignorer la valeur prédictive des données fournies par les analystes. Impossible? Pas sûr. Il suffit de lire Anne Lévy dans la presse dominicale: «Nous savions qu’ils monteraient (ndlr: le nombre de cas) après les réouvertures. Mais nous ne nous attendions pas à ce qu’ils augmentent autant et si vite», a déclaré la directrice de l’OFSP.
Déjà le 6 juillet…
Des propos qui déplaisent à Thorsten Kurz. Pour l’analyste, la déclaration d’Anne Lévy est également étonnante car des questions avaient été posées depuis un certain temps déjà: «Un journaliste s’inquiétait déjà le 6 juillet dernier du fait que le nombre de cas quotidiens avait doublé par rapport à la semaine précédente. Cette inquiétude avait déjà été calmée par l’OFSP. À ce moment précis, plusieurs pays avec une couverture vaccinale plus élevée que la Suisse avaient déjà connu des semaines de fortes augmentations. Lorsque la cheffe de l’OFSP explique 11 jours plus tard qu’on ne pouvait pas s’y attendre, elle paraît inexpérimentée et mal informée pour ceux qui suivent la situation de près. C’est tout l’inverse pour son «patron» Alain Berset, qui semble accepter consciemment la croissance exponentielle des infections avec toutes ses conséquences. Cela semble faire partie de sa stratégie.»
Actuellement, Thorsten Kurz voit l’arrivée de cette nouvelle vague d’un mauvais oeil. «Je suis très heureux et reconnaissant d’avoir été vacciné. Mais pour toutes les personnes qui ne peuvent pas se faire vacciner parce qu’elles ont moins de 12 ans ou parce que leur état de santé ne le permet pas, ce sera une période difficile. Je recommande vivement à tous ceux qui peuvent se faire vacciner de le faire le plus tôt possible.»