Madame Ziltener, de longues journées, des heures supplémentaires, un manque massif de personnel qualifié et un personnel médical à la limite de ses capacités: quel est l'impact de ces conditions de travail difficiles sur les patients?
Une médecin-cheffe m'a raconté qu'après 24 heures de service, elle avait commis une erreur parce qu'elle était fatiguée et avait du mal à se concentrer. Elle s'est adressée à la direction de l'hôpital, mais a dû ensuite trouver elle-même une solution pour avoir à l'avenir des gardes plus courtes. Mais pour les personnes extérieures, il est souvent difficile de savoir quel rôle jouent les conditions de travail dans les erreurs médicales. J'ai par exemple eu le cas d'une patiente pour laquelle les infirmières ont appelé trois fois le médecin, mais celui-ci n'est pas venu. Le lendemain, la patiente est décédée. Le médecin devait probablement s'occuper d'autres urgences. On ne peut que constater qu'il y a là un problème systématique auquel l'hôpital doit remédier d'urgence.
Les hôpitaux font-ils suffisamment d'efforts pour traiter ces erreurs et en tirer des leçons?
Dans le secteur de la santé, il n'existe pas de culture visant à traquer systématiquement les erreurs. L'un des problèmes est la croyance en la hiérarchie. Les erreurs des services ne sont généralement pas signalées en interne, par peur des conséquences. On n'ose pas non plus aborder les erreurs de son supérieur. J'entends par exemple que des médecins n'appliquent pas proprement des listes de contrôle obligatoires lors d'opérations, bien que celles-ci minimisent le risque d'erreurs. Mais personne ne dit rien.
Concrètement, à quels dangers les hôpitaux ne réagissent-ils pas?
Pour citer un exemple: les rapports de différentes institutions nous montrent que des patients sont régulièrement confondus, par exemple parce que plusieurs dossiers sont ouverts en même temps lors d'inscriptions pour des examens. L'inscription se fait alors pour le mauvais patient sans que l'on s'en rende compte. Souvent, plusieurs collaborateurs doivent partager des postes de travail informatiques. Il existe de nombreuses recommandations sur ce que les hôpitaux peuvent faire pour minimiser les risques. Mais nous constatons fréquemment que certains hôpitaux ne respectent pas ces recommandations.
Que doit-on changer dans les hôpitaux et sur le plan législatif?
Une bonne culture de l'erreur, basée sur la confiance, est l'affaire de chaque responsable. La direction de l'hôpital doit faire comprendre qu'après des événements critiques, il ne s'agit pas de savoir qui est coupable, mais plutôt de savoir: pourquoi l'erreur s'est-elle produite? Comment éviter que cela ne se reproduise à l'avenir? Les collaborateurs doivent voir que leurs signalements ont un impact. Certains hôpitaux vivent cette culture de manière exemplaire, mais dans d'autres, la peur que quelque chose soit rendu public est au premier plan. On dit: chez nous, tout est merveilleux, celui qui n'est pas content n'a qu'à partir. Je pense qu'il serait bon de sanctionner les directions d'hôpitaux qui ne pratiquent pas une culture de la confiance dans la gestion des erreurs. Si nécessaire, il faut des contrôles et des sanctions. Si les rapports d'erreurs internes révèlent un problème systématique, il faut y remédier. Avec des personnes engagées, je suis en train d'élaborer une proposition sur la manière dont cela doit être mis en œuvre en détail.
De nombreux hôpitaux ont peur des demandes d'indemnisation...
Ce n'est pas comme si une avocate se rendait chaque matin à l'hôpital pour savoir si quelque chose avait mal tourné. En Suisse, les patients doivent d'abord prouver qu'une erreur a été commise et qu'ils ont subi un dommage à leur santé en raison de cette erreur. Les procédures sont complexes et coûteuses. Les personnes malades n'ont souvent pas la force de s'engager dans une procédure épuisante. C'est pourquoi les éventuelles erreurs de traitement ne sont souvent même pas examinées et les patients ne savent jamais ce qui leur est arrivé exactement. C'est pourtant nécessaire pour que les patients et leurs proches puissent garder confiance dans le système de santé et conclure qu'une erreur s'est produite ou non.
Lorsque vous travailliez pour le service aux patients de Zurich, vous avez suivi nombres d'entre eux qui soupçonnaient des erreurs de traitement. Comment les hôpitaux ont-ils réagi?
Malheureusement, les patients se voient fréquemment opposer des phrases comme quoi tout a été fait dans les règles de l'art. C'est peut-être vrai, mais les hôpitaux doivent mieux expliquer comment des complications sont survenues. Lorsque l'on s'adresse à un service de patients, la première chose que l'on demande est le dossier médical. Si le dossier est bien tenu, un spécialiste peut souvent comprendre où quelque chose s'est mal passé à l'aide des données. Malheureusement, j'ai parfois constaté que les dossiers médicaux présentaient des lacunes à des endroits cruciaux.
Comment pourrait-on désamorcer les conflits concernant les demandes d'indemnisation?
A mon avis, les hôpitaux ne devraient contracter une assurance responsabilité civile que pour des montants de dommages importants. Dans les cas où il s'agit de moins d'argent, ils devraient tendre la main à un accord rapide. En contrepartie, les hôpitaux économisent les frais de justice et les primes peuvent épargner aux patients des procédures épuisantes et donner des informations plus transparentes sur ce qui a conduit à des complications.
Dans votre livre «Entre inquiétude, espoir et confiance», vous mentionnez une étude selon laquelle les personnes en établissements spécialisés reçoivent une quantité inquiétante de médicaments...
Je viens de lire des rapports récents de spécialistes sur le contrôle d'une maison de repos. Tous les résidents y ont reçu dix à quatorze substances actives différentes par jour, parce que le médecin de l'établissement et le médecin spécialiste ne se sont pas concertés. Il faut s'imaginer cela. Il est dangereux de prendre de nombreux médicaments en même temps en raison des interactions.
Comment les proches peuvent-ils accompagner les patients?
En général, il faut s'informer le mieux possible, toujours garder un esprit critique et demander un deuxième avis en cas de doute. Il peut être utile d'emmener quelqu'un à l'entretien thérapeutique avant les opérations importantes et prendre suffisamment de temps pour réfléchir à la question de savoir si l'on accepte l'intervention. Pour prendre cette décision, il faut poser des questions: Y a-t-il plusieurs possibilités? Quels sont les avantages et les inconvénients? Que se passera-t-il si je n'interviens pas?