«Toi, tu me comprends!»
Ce robot-phoque apaise les seniors avec des troubles cognitifs

Il s’appelle Paro et a pris ses quartiers depuis une dizaine d’années dans plusieurs EMS romands. Robot émotionnel d’assistance thérapeutique, le petit animal soulage des personnes souffrant de troubles cognitifs. Reportage.
Publié: 01.06.2025 à 22:19 heures
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Il s’appelle Paro et a pris ses quartiers depuis une dizaine d’années dans plusieurs EMS romands.
Photo: Darrin Vanselow
Sandrine Spycher
Sandrine SpycherJournaliste L'illustré

Prendre dans ses bras un bébé phoque blanc et duveteux, le chatouiller sous le menton et titiller ses moustaches jusqu’à ce que ses gazouillis métalliques rappellent qu’il s’agit d’un robot. Ce phoque, baptisé Paro, est un robot émotionnel d’assistance thérapeutique utilisé dans certains EMS romands. Son allure mignonne et ses grands yeux noirs procurent bien-être et apaisement. 

«Il est utilisé essentiellement pour calmer des résidents en souffrance. Cela concerne des gens qui ont des troubles du comportement, des troubles cognitifs ou des démences, et qui sont aussi de plus en plus en échec au niveau de la communication», explique Philippe Vial, animateur au sein de l’EMS Eynard-Fatio, à Genève, qui a recours à Paro depuis de nombreuses années. 

Le robot-phoque, grâce à ses multiples capteurs, réagit au toucher et à la voix des personnes qui le manipulent. Combinées à son effet calmant, ses réactions déclenchent une interaction avec le résident, ce qui permet à la communication de se faire plus facilement.

Un déclencheur de parole

A l’étage de l’institution, dans la chambre de Mme Pillet, Paro remplit exactement ce rôle. Dès que Philippe Vial arrive avec le phoque, Mme Pillet tend les bras vers lui. Sur le bureau devant elle, un petit chat en peluche attendra son tour pour les câlins. L’animateur précise que cette résidente a du mal à s’exprimer et à faire des phrases complètes. 

Pourtant, une fois Paro lové dans ses bras, elle lui raconte sa journée sans peine en brossant son poil. Dans une posture protectrice, elle s’enquiert de son confort. Avant d’arriver à l’EMS, Mme Pillet avait deux chiens qui lui tenaient compagnie à la maison. Pour elle, Paro, à qui elle parle au féminin, remplace les animaux qu’elle a toujours choyés.

Le robot-phoque, grâce à ses multiples capteurs, réagit au toucher et à la voix des personnes qui le manipulent.
Photo: Darrin Vanselow

Pourquoi utiliser un robot, aussi mignon soit-il, plutôt que d’avoir recours à la zoothérapie, également pratiquée au sein de l’EMS? Philippe Vial souligne qu’il y a plusieurs raisons à cela: «Pas de risque de griffure ou de morsure, ni d’allergie. Et surtout, Paro peut être disponible à n’importe quel moment, pour avoir une interaction immédiate en cas de crise par exemple.» 

Alors qu’il se déplace dans les couloirs de l’établissement avec le phoque dans les bras, plusieurs regards se tournent dans sa direction. Au petit réfectoire de l’étage, une femme râle de douleur. Sa souffrance semble s’apaiser lorsque Paro est déposé sur une table à portée de sa main. 

«Certains résidents souffrant de troubles cognitifs ont des réserves médicamenteuses au cas où une crise se manifeste. Paro peut être utilisé comme intermédiaire, pour éviter les médicaments quand c’est possible», indique Philippe Vial. On apprendra plus tard que cette femme était en crise et qu’elle avait déjà pris ses médicaments de réserve.

Mettre du sens dans les gestes

Les crises. Les angoisses ou la colère. C’est dans ces situations que le phoque est le plus efficace, comme l’explique Viviane Baud-Grasset, infirmière responsable d’unité à l’EMS Butini, à Genève: «Les résidents avec qui je l’ai le plus utilisé étaient des personnes extrêmement angoissées, qui pouvaient beaucoup déambuler et vouloir quitter l’institution. Voir ce phoque, pouvoir le prendre dans les bras et lui raconter toutes les 'misères' qu’elles vivent, ça leur apporte du calme.» 

La soignante insiste sur l’importance de l’interaction avec le robot. Ses mouvements en réponse à la voix ou au toucher lui donnent l’air empathique. «On voit souvent des gens lui dire: 'Ah toi, tu me comprends' en lui confiant leurs émotions.» Elle est elle-même émue lorsqu’elle évoque une résidente décédée il y a peu, sur qui Paro avait eu un fort effet thérapeutique. «Je garderai toujours en mémoire cette dame qui s’était approprié ce phoque. Grâce à lui, elle a pu partir complètement apaisée et sereine malgré toutes les colères d’une vie entière. On a pu l’accompagner paisiblement jusqu’au bout.»

Il ne suffit pourtant pas d’abandonner Paro entre les mains d’un résident ou d’une résidente pour que le soin fonctionne. Viviane Baud-Grasset insiste sur le suivi qui doit être fait par les soignants. «C’est important de mettre du sens dans ce qu’on fait, donc on ne peut pas juste laisser le phoque et repartir. Il faut qu’on soit disponible pour entendre ce que le résident a envie ou besoin de nous dire.» 

«
Ce n’est pas pour infantiliser le résident, mais pour apaiser les tensions
Viviane Baud-Grasset, infirmière à Butini Village (GE)
»

L’EMS Butini comporte plusieurs unités de soin distinctes: Butini Village accueille les personnes âgées nécessitant soins et accompagnements, Patio est un espace dédié aux personnes souffrant de troubles cognitifs avancés, alors que Butini Jardin et Terrasse sont des foyers de jour et de nuit. Paro peut voyager d’une unité à l’autre selon les besoins. Le jour de notre visite, il s’offre une balade dans l’espace extérieur sécurisé de Butini Patio, posé sur les genoux de Mme Leisi pour qui il est un vecteur d’interaction sociale.

Un phoque multifonction

Au Foyer Les Adonis, un EMS à Charrat (VS) faisant partie de l’institution Les Fleurs du Temps, les assistants socio-éducatifs ont reçu une brève formation pour connaître le fonctionnement détaillé du robot-phoque. Dans cette maison au pied des Alpes valaisannes, Paro est utilisé pour apaiser les crises d’angoisse et est «proposé aux résidents comme une approche relationnelle et non pharmacologique», souligne Ophélie Mettaz, assistante socio-éducative. 

Robot émotionnel d’assistance thérapeutique, le petit animal soulage des personnes souffrant de troubles cognitifs.
Photo: Darrin Vanselow

Introduit dans l’EMS de Charrat en décembre 2023, le robot s’est rapidement révélé indispensable pour accompagner les soins difficiles: «Pour les prises de sang, les moments d’angoisse de l’aiguille ou les pansements douloureux. Donc là, on l’utilise avec l’infirmière qui nous appelle pour ce genre de soins.»

Entre les murs colorés et les couloirs baignés de lumière dans une fragrance de vanille, le phoque se rend autant en chambre que dans les espaces communs, emmené sur place par l’assistant socio-éducatif Gaël Aymon. En ce jour, le phoque fait un arrêt à la cafétéria pour souhaiter un bon appétit et apporter un peu de joie aux résidents. L’institution Les Fleurs du Temps compte cinq EMS en Valais. Grâce à un budget alloué en fin d’année 2023, chaque établissement a eu la possibilité d’acquérir un robot-phoque, dont le coût s’élève à 7000 francs.

Le voir à l’œuvre pour y croire

Si le phoque est souvent adopté par un grand nombre de résidents, certains se montrent plus sceptiques. «Je ne suis pas un enfant» est un reproche qui revient dans la bouche de ceux qui refusent ce robot ressemblant fort à une peluche. Les proches des résidents doivent également être accompagnés et convaincus, de même que les soignants eux-mêmes. 

Un logiciel d’IA analyse les informations reçues par la multitude de capteurs pour adapter le comportement de Paro.
Photo: Darrin Vanselow

«Quand je l’ai intégré pour la première fois à Butini, il a fallu expliquer que ce n’était pas pour infantiliser le résident, mais vraiment dans le but d’apaiser les tensions, d’essayer de trouver des alternatives aux médicaments, voire d’éviter les médicaments», témoigne Viviane Baud-Grasset, aujourd’hui totalement convaincue, mais qui était elle-même réticente à l’idée d’utiliser un robot lorsqu’elle l’a connu. De son côté, Ophélie Mettaz confie avoir été «un peu réfractaire» au début, du moins jusqu’à ce qu’elle voie une femme retrouver la parole au contact du phoque.

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Avec Paro, pas de risque de griffure, de morsure ou d’allergie
Philippe Vial, animateur à l’EMS Eynard-Fatio (GE)
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C’est que la technologie derrière Paro ne laisse rien au hasard. Les mouvements, les sons, les sensations au toucher et jusqu’au choix de l’animal représenté: tout est pensé pour calmer les tensions. Le phoque est un animal neutre dans notre société qui le connaît peu; il n’est pas porteur des a priori que peuvent susciter un chien ou un chat, par exemple. Sept moteurs lui permettent de bouger la tête, les nageoires et la queue, ainsi que de fermer les paupières. 

Trois micros captent les voix pour que Paro tourne la tête dans la bonne direction. Un logiciel d’intelligence artificielle analyse les informations reçues par la multitude de capteurs pour adapter le comportement de Paro à celui de la personne qui l’a en main. Robot émotionnel d’assistante thérapeutique, le phoque ne guérit pas les maladies, mais il procure un bien-être instantané qui peut adoucir l’existence et faire fleurir quelques sourires.

Un article de L'illustré n°21

Cet article a été publié initialement dans le n°21 de L'illustré, paru en kiosque le 22 mai 2025.

Cet article a été publié initialement dans le n°21 de L'illustré, paru en kiosque le 22 mai 2025.

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