«C'est totalement inutile»
Avec ce projet à un milliard, Albert Rösti fait grincer de nombreuses dents

La Suisse s’apprête à investir massivement dans de nouvelles centrales de réserve pour sécuriser son approvisionnement en électricité. Mais de nombreux experts dénoncent un projet inutile et trop coûteux, qui pourrait peser lourdement sur les ménages et l’économie.
Publié: 18:15 heures
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Le conseiller fédéral Albert Rösti veut construire cinq centrales de réserve d'ici 2030 afin d'éviter une pénurie d'électricité en hiver.
Photo: keystone-sda.ch
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Lucien Fluri

La Suisse va-t-elle gaspiller un milliard de francs sur le dos des consommateurs d’électricité? C’est ce que redoute le WWF, la plus grande organisation de protection de l’environnement du pays. Et il n’est pas le seul: plusieurs responsables de la politique énergétique partagent ces inquiétudes.

Le contexte: le Conseil fédéral prévoit la construction de cinq centrales de réserve afin d’assurer l’approvisionnement en électricité, même lors d’hivers rigoureux. «Ce que l’on construit ici avec des sommes folles est totalement inutile», critique Patrick Hofstetter, expert en climat et en énergie au WWF. Selon lui, il existe des alternatives bien moins coûteuses aux nouvelles centrales à gaz.

A l’automne 2022, la Suisse avait frôlé une pénurie d’électricité. Après l’attaque de la Russie contre l’Ukraine, le gaz manquait et les centrales nucléaires françaises produisaient moins. La conseillère fédérale Simonetta Sommaruga avait même recommandé de prendre des douches en commun. Beaucoup de ménages avaient stocké du bois par crainte de coupures de chauffage. Pour éviter qu'un tel scénario se reproduise à l’avenir, le Conseil fédéral veut bâtir des centrales de réserve.

«La variante la plus chère et la plus inutile»

Au WWF comme à Berne, le projet suscite de vives critiques. «Il va de soi que nous avons besoin d’une réserve d’électricité pour l’hiver», reconnaît Patrick Hofstetter. «Mais les nouvelles centrales à gaz sont la variante la plus chère et la plus inutile». L’organisation demande donc l’abandon du projet, rapidement si possible. Les contrats n’étant pas encore signés, tout reste ouvert, comme l’a confirmé le conseiller fédéral Albert Rösti (UDC) au Parlement.

Le WWF met en avant une alternative: la mise en commun des groupes électrogènes, c'est-à-dire de génératrices, de secours. Ceux des hôpitaux ou des centres de calcul pourraient être activés en cas d’urgence, évitant ainsi de puiser dans le réseau. «La Suisse connaît un développement énorme des centres de calcul, tous équipés de groupes électrogènes modernes», souligne Patrick Hofstetter.

En ajoutant à cela les réserves hydroélectriques et la possibilité pour l’industrie de réduire sa production contre rémunération, les capacités seraient suffisantes, assure-t-il, même selon les critères de la Commission fédérale de l’électricité (Elcom).

Les critiques se multiplient

Du côté politique aussi, le scepticisme domine. Le conseiller national du Centre Stefan Müller-Altermatt parle d’un «gaspillage d’argent inutile», car il n’y a actuellement pas de menace réelle de pénurie. Le conseiller national de l'Union démocratique du centre Christian Imark dénonce lui aussi une «solution de luxe». Selon lui, les coûts seront inévitablement reportés sur les consommateurs.

Roger Ambort, directeur du Groupe des gros consommateurs d’électricité en Suisse (GGS), juge le projet mal coordonné: «On veut éliminer tout risque, mais cela conduit à un mauvais investissement», estime-t-il. Selon lui, l’industrie helvétique paiera la facture à travers des taxes plus élevées.

Un coût estimé à un milliard

Le WWF a évalul le coût potentiel de nouvelles centrales de réserve à un milliard de francs. Pour financer ce montant, il faudrait augmenter le prix du kilowattheure de deux centimes pendant un an. Une hausse qui pèserait non seulement sur l’économie, mais qui freinerait également la transition énergétique, en rendant les voitures électriques ou les pompes à chaleur moins attrayantes.

«
Les centrales de réserve sont nécessaires pour garantir l’approvisionnement même dans des situations extraordinaires
Albert Rösti, ministre de l'Energie
»

Pourquoi le gouvernement maintient-il son projet malgré les critiques? A Berne, on martèle que la sécurité de l’approvisionnement reste la priorité absolue. Et qu’une pénurie coûterait bien plus cher. Les partisans rappellent le blackout de l’an dernier en Espagne, où l’électricité avait été coupée plusieurs heures.

«Les centrales de réserve sont nécessaires pour garantir l’approvisionnement même dans des situations extraordinaires», défend Albert Rösti auprès de Blick. Les groupes électrogènes de secours seuls seraient «trop hétérogènes et pas assez fiables pour assurer un approvisionnement stable plus de quelques jours».

Le prix final des installations n’est pas encore fixé. Des négociations sont en cours, et tant qu’elles ne sont pas terminées, l’Office fédéral de l’énergie refuse de donner des chiffres plus précis.

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