Des requérants trompent la Suisse
Des procureurs turcs corrompus délivrent de faux papiers pour faciliter l'asile

Les requérants d'asile turcs utilisent de plus en plus souvent de faux documents pour obtenir l'asile en Suisse, notamment grâce à l'aide de procureurs corrompus. Le Secrétariat d'Etat aux migrations examine désormais de plus près les demandes en provenance de Turquie.
Publié: 23.11.2024 à 06:01 heures
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Dernière mise à jour: 23.11.2024 à 08:09 heures
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De plus en plus de personnes turques tentent d'obtenir l'asile en Suisse, en présentant des documents falsifiés. (Image symbolique)
Photo: Keystone
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Sophie Reinhardt

Les autorités suisses en charge de l'asile traînent depuis des années une montagne de dossiers en suspens. L'une des raisons derrière ce retard est que la vérification des motifs d'asile nécessite parfois un travail de détective.

Justement, Blick a appris que l'année dernière, des personnes turques ont tenté d'obtenir frauduleusement l'asile en Suisse, en présentant des documents falsifiés. Un phénomène de plus en plus courant. C'est pourquoi les collaborateurs du ministre de l'Asile Beat Jans examinent actuellement de plus près les demandes de personnes originaires de Turquie – ce qui impacte la durée de traitement des dossiers.

Plus de 100 falsifications

Comme le rapporte une organisation de l'asile, de plus en plus de procédures fictives sont engagées en Turquie avec l'aide de procureurs corrompus, afin que certaines personnes obtiennent des preuves convaincantes pour obtenir l'asile en Suisse. Par exemple, les magistrats impliqués s'accordent à dire que les requérants concernés sont persécutés politiquement en Turquie.

Le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) confirme cette observation. Ces cas posent un défi particulier aux autorités locales, car les preuves sont formellement authentiques. «Il n'est guère possible de reconnaître des documents acquis illégalement, mais qui sont authentiques», explique le porte-parole du SEM Nicolas Cerclé.

Les documents fournis par les demandeurs d'asile ne sont toutefois qu'un parmi les nombreux éléments évalués lors de l'examen d'une demande, précise-t-il. «Dans les cas où le SEM soupçonne un abus, il procède à des clarifications supplémentaires et prend les mesures nécessaires.»

Avocat payé pour dénoncer des faits inexistants

La «NZZ» a par exemple rapporté en juillet qu'un avocat turc avait dénoncé des compatriotes aux autorités en Turquie, parce qu'ils avaient diffusé sur Internet des contenus critiques à l'égard du gouvernement. Les personnes concernées avaient en fait payé l'avocat pour qu'il les accuse. A l'aide de ces dénonciations, elles voulaient documenter le danger qu'elles couraient dans leur pays d'origine. Il semblerait que des procureurs turcs corrompus participent également à ce stratagème.

La Suisse ne peut – ou ne veut pas – indiquer avec précision le nombre de fois où elle a constaté de telles escroqueries. «Par expérience, on peut toutefois dire que les documents judiciaires jouent un grand rôle auprès des requérants d'asile turcs et que le SEM a constaté ces dernières années plus de 100 falsifications dans les preuves fournies par ces derniers», poursuit le SEM. Jusqu'à présent, cela n'a pas provoqué de tensions diplomatiques. La Suisse n'a «pas abordé ce sujet» dans le cadre des échanges bilatéraux, indique-t-on à la demande de Blick.

Hausse des demandes turques en Suisse

La Turquie fait partie des principaux pays d'origine des demandeurs d'asile en Suisse: rien qu'en octobre, 384 Turcs ont déposé un dossier. Seul l'Afghanistan la devance. Le nombre de demandes d'asile déposées par des ressortissants turcs a nettement augmenté en 2023 dans toute l'Europe, et la hausse est de plus de 40% en Suisse. L'année dernière, 6822 demandes provenaient de personnes originaires de Turquie.

«Depuis la tentative de putsch avortée de juillet 2016, les droits humains en Turquie se sont continuellement détériorés en ce qui concerne l'exercice des pouvoirs politiques et la liberté d'expression», indiquait le SEM en début d'année.

Par le passé, les nombreuses procédures engagées contre des partisans du mouvement Gülen – des opposants et critiques du président Erdogan – ont constitué des preuves suffisantes pour justifier leur fuite en Suisse. Certains pouvaient par exemple présenter les dossiers des procédures pénales turques, qui montraient qu'ils avaient été arbitrairement accusés de terrorisme et emprisonnés.

60 postes supplémentaires ouverts pour traiter les dossiers

Le Tribunal administratif fédéral a toutefois rendu récemment un jugement qui fait jurisprudence. Les juges de Saint-Gall sont arrivés à la conclusion que les demandeurs d'asile turcs ne devaient pas être reconnus comme réfugiés du seul fait que des enquêtes du parquet pour «insulte au président» ou «propagande pour une organisation terroriste» étaient en cours dans leur pays d'origine.

Entre-temps, les requérants d'asile turcs parlent de plus en plus de pressions psychologiques qui ne sont plus supportables, de harcèlement policier ou d'interdiction de travailler pour les personnes tombées en disgrâce auprès du gouvernement turc, rapportent les experts en matière d'asile. Toutefois, le SEM a en général besoin de plus de temps pour examiner ces situations que pour les cas bien documentés, avec une menace de sanction juridiquement établie.

Lors de son entrée en fonction, le conseiller fédéral Beat Jans a affirmé que la réduction des demandes en suspens constituait une priorité de son département. En février, le Conseil fédéral a approuvé 60 postes à plein temps supplémentaires à cet effet. Ainsi, le nombre de demandes d'asile en attente est désormais passé de plus de 15'500 fin 2023 à 12'500 fin octobre 2024.

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