L'Etat? Ils n'en ont pas besoin. Les lois? Ils les refusent. Les contrôles? Hors de questions. Certaines personnes vivent dans leur propre monde. Ce qui les unit? Le rejet total du système. Les inspecteurs des denrées alimentaires en savent quelque chose, eux qui viennent à l'improviste dans des entreprises pour vérifier notamment le respect des règles d'hygiène.
Ils font parfois face à des restaurateurs en colère, qui refusent catégoriquement l'autorité étatique. Une attitude qui entraîne «beaucoup de travail et de coûts pour l'Etat», rapporte le laboratoire intercantonal chargé des contrôles sur les denrées alimentaires à Schaffhouse et dans les deux Appenzell. «Depuis la pandémie de Covid-19, le phénomène a fortement augmenté dans certaines régions.»
Kurt Seiler, le directeur, parle d'une «attitude très réfractaire» vis-à-vis de l'Etat. «Même si ces personnes sont des cas isolés, elles demandent un temps disproportionné et poussent parfois les autorités dans leurs retranchements», confie-t-il à Blick. Alors que la majorité des bureaux cantonaux préfèrent rester discrets sur ce sujet, ce laboratoire a, lui, décidé de lever les tabous autour de ce phénomène, en publiant deux cas de façon anonyme.
1er cas: L'autorisation d'un restaurateur retirée
La première affaire s'est déroulée dans un restaurant. Lorsque les inspecteurs sont arrivés pour un contrôle de routine, le restaurateur s'est mis en colère et leur a refusé l'accès. Il estimait que les contrôleurs étaient des «porteurs de maladies génétiquement modifiées» à cause de leur vaccin contre le Covid-19. Il les a accusés d'être sous la coupe de l'industrie pharmaceutique. L'homme craignait qu'ils contaminent les aliments dans sa cuisine, affirmant qu'il avait le devoir de protéger sa clientèle.
«Nous n'avons pas pu nous empêcher de sourire, mais nous avons rapidement remarqué que ce n'était pas une blague», rapporte le laboratoire dans son dernier rapport annuel. Une deuxième tentative de contrôle a échoué une nouvelle fois. Même la menace d'une plainte pénale n'a rien donné. Et la police n'a pas non plus réussi à faire changer d'avis le restaurateur.
Les contrôleurs ont dû se rendre à l'évidence: parfois, les concessions sont impossibles. L'autorisation du restaurateur lui a été retirée et le restaurant a mis la clé sous la porte.
2e cas: Des réclamations et théories complotistes
Autre cas: les autorités sont tombées sur une femme qui vendait des compléments alimentaires via une boutique en ligne, dont des produits qui n'étaient pas commercialisables ou étaient considérés comme dangereux pour la santé. Elle n'a pas donné suite aux courriers officiels. Lorsque les contrôleurs se sont présentés à sa porte, elle les a fermement refoulés.
Quelques jours plus tard, les autorités ont reçu un courrier surprenant, avec une réclamation de dommages et intérêts. La femme le justifie par le fait que la visite lui a causé «un grave dommage psychique». Elle affirme ne plus pouvoir travailler «en raison d'états d'anxiété et de délires de persécution».
Dans une autre lettre, elle a exigé que les contrôleurs réfutent le «Motu Proprio du pape du 11 juillet 2013». Une lettre qui s'est révélée être «confuse» et qui regorgeait de «nombreuses théories du complot incohérentes», selon les inspecteurs. Et ensuite? «Heureusement pour nous, cette dame a fini par se lasser et a fermé sa boutique en ligne.»
Comment gérer les rebelles?
Selon les experts, il existe un point commun entre ces rebelles qui défient les autorités: l'Etat est perçu comme un ennemi, et les discussions objectives sont impossibles. Les propos conspirationnistes se banalisent, tandis que l’intimidation et la défiance envers tout ce qui incarne l’Etat devient monnaie courante.
«Les cas s'éternisent et nécessitent des procédures au cas par cas», explique Kurt Seiler du laboratoire intercantonal. Et de rappeler: «Nous appliquons toutefois systématiquement notre mandat légal et suivons la voie des instances.» Dans certains cas, cela mène à des retraits d'autorisations ou à des fermetures d'entreprises.
On ne sait pas exactement combien il y a de réfractaires à l'Etat en Suisse. L'expert en criminalité zurichois Dirk Baier estime que cela concerne entre 2000 et 3000 personnes. Ces rebelles n'agiraient qu'en Suisse alémanique, «et encore plus particulièrement en Suisse orientale». Ils disposent d'un bon réseau et organisent des séminaires dans toute la Suisse. Toutefois, la situation est encore floue.
Savoir comment traiter ces personnes interpelle le monde politique. Le ministre de la Justice, Beat Jans, parle même d'un défi croissant «pour notre démocratie et notre sécurité intérieure», comme il l'a déclaré lors de la dernière session au Parlement. Le Conseil national a justement adopté un postulat de la conseillère nationale socialiste Nina Schläfli, qui oblige le Conseil fédéral à établir un rapport sur ce phénomène.