Non, c'est non! La majorité bourgeoise du Conseil des Etats veut à tout prix éviter une votation populaire sur le risque de surcoûts liés aux avions de combat F-35. «La situation en matière de sécurité est dramatique. Nous ne pouvons plus nous permettre de nouveaux retards», déclare l'élue centriste Marianne Binder. Ce serait jouer avec le feu.»
Une position qui rejoint celle du Conseil fédéral. Car un nouveau scrutin ne prendrait pas seulement beaucoup de temps: après les dernières péripéties, le risque de dérapage serait aussi important. Et le gouvernement ne veut pas courir ce danger.
Déjà en 2020, les électeurs avaient accepté de justesse (50,1%) l’achat de nouveaux avions de combat, avec un plafond de coûts fixé à 6 milliards de francs. Sur cette base, le Parlement a validé l’acquisition de 36 F-35 américains.
Une décision imposée en douce?
L’ancienne ministre de la Défense Viola Amherd a répété à plusieurs reprises qu’il s’agissait d’un prix fixe. Les coûts supplémentaires étaient exclus, assurait-elle. Mais Washington ne partage pas cette vision. C’est désormais à son successeur et collègue de parti Martin Pfister de gérer ce dossier explosif.
Les surcoûts pourraient atteindre 1,3 milliard de francs. On ignore encore si le Conseil fédéral envisage de réduire le nombre d’appareils ou de demander un crédit supplémentaire. En cas de rallonge, le Parti socialiste (PS) exige un passage devant le Parlement sous la forme d’une décision soumise au référendum.
Autrement dit, le peuple devrait avoir le dernier mot. Car la base du vote était un plafond de 6 milliards. Si ce cadre est modifié, le contrôle démocratique doit l’être aussi. «Sinon, le peuple sera mené par le bout du nez», dénonce la socialiste Franziska Roth. L’achat «après de fausses promesses» ne doit pas être imposé en douce.
«Il y aurait un long retard»
Le Conseil fédéral n’est pas de cet avis et s’appuie sur des arguments juridiques. Les crédits supplémentaires ne seraient pas soumis au référendum facultatif. La Constitution serait donc respectée et le contrôle démocratique assuré.
Les partis bourgeois ne veulent pas non plus entendre parler d’un nouveau vote populaire, comme les avis récoltés par Blick. L'Union démocratique du centre (UDC), le Parti libéral-radical (PLR) et le Centre y sont majoritairement opposés – et ils disposent d'une nette majorité. Mercredi, la Chambre haute se prononcera sur la demande du PS. Celle-ci n’a aucune chance d'aboutir.
«Avec une nouvelle votation populaire, que je ne crains pas, on risquerait de prendre un retard important», estime l'élu UDC Werner Salzmann. Il rappelle qu’il n’y a pas eu de deuxième vote sur la NLFA (ndlr: Nouvelles lignes ferroviaires à travers les Alpes) malgré des surcoûts massifs. «On n’aurait simplement pas dû commettre l’erreur de parler sans cesse d’un prix fixe.» Pour lui, le F-35 reste de toute façon l’appareil le plus adapté à la défense du pays.
«Je ne vois pas de problème de crédibilité»
«Ne va pas voir le prince si on ne t’appelle pas», cite l'élu libéral-radical Josef Dittli. Autrement dit: inutile de soumettre au peuple ce qui n’est pas nécessaire. «Le Conseil fédéral a volontairement soumis l'achat des avions de combat au vote, rappelle-t-il. Sinon, aucun projet d’armement n’est jamais soumis à référendum.» Selon lui, un crédit supplémentaire bien plus faible que l’enveloppe initiale justifie que seul le Parlement se prononce. «Je ne vois pas de problème de crédibilité.»
Le Conseil des Etats est une chose, la population en est une autre. Cette dernière a réagi avec colère quand le ministre de la Défense Martin Pfister a reconnu mi-août que les Etats-Unis refusaient un prix fixe et que les jets coûteraient bien plus cher que promis.
Pour beaucoup, il est clair que la politique ne peut pas se contenter de bricoler. Une nouvelle votation s’impose. Auprès de Blick, 38’681 personnes se sont prononcées: pas moins de 70% réclament un nouveau vote. Les Suisses semblent vouloir décider eux-mêmes si on doit encore payer davantage pour les avions américains. Mais la majorité bourgeoise du Conseil des Etats s’y opposera.