Damien Cottier à Strasbourg
«Au Conseil de l'Europe, c'est plus tendu qu'à Berne»

Damien Cottier préside la délégation suisse au Conseil de l'Europe à Strasbourg, où il vient d'être nommé à la présidence d'une importante commission. Le conseiller national neuchâtelois lève le voile sur cette institution méconnue.
Publié: 28.01.2022 à 01:13 heures
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Dernière mise à jour: 28.01.2022 à 12:57 heures
Depuis mardi, Damien Cottier préside l'importante commission des Affaires juridiques et des droits de l'homme du Conseil de l'Europe.
Photo: Keystone
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Adrien SchnarrenbergerJournaliste Blick

Le Conseil de l’Europe n’avait peut-être jamais fait autant parler de lui que mercredi. La «faute» à Gianni Infantino et sa déclaration choc — quelque peu sortie de son contexte — sur les migrants africains qui tenteraient moins de rallier l’Europe avec une Coupe du monde tous les deux ans.

Hasard du calendrier, cette institution méconnue du grand public était à l’honneur dans la dernière édition de notre newsletter politique, dont Damien Cottier était l’invité. Le conseiller national neuchâtelois préside la délégation suisse à Strasbourg. Douze parlementaires dont six Romands s’y rendent trois fois par année pour représenter notre pays dans cet hémicycle de 642 membres.

Pandémie oblige, les sessions se font en partie à distance. Damien Cottier, lui, était bien à Strasbourg, avec trois collègues suisses, et a eu droit à des honneurs: depuis mardi, il préside l’importante commission des Affaires juridiques et des droits de l’homme. L’occasion pour Blick de s’entretenir avec le Neuchâtelois, auteur d’une prise de position remarquée mercredi sur les droits de personnes LGBTI+ à Strasbourg.

Voir la Suisse être représentée dans une assemblée active politiquement, cela peut surprendre…
C’est vrai qu'on connaît peu le Conseil de l’Europe. Les gens ont tendance à le confondre avec l’Union européenne ou la commission européenne, qui n’ont rien à voir. Il faut admettre que la nomenclature n’est pas des plus faciles, en plus d’avoir un même drapeau pour tout. Mais la Suisse est bel et bien là, parmi 47 pays membres, et ce depuis 1963. Il est important d'y défendre nos valeurs et les droits fondamentaux de 800 millions d’Européens.

Comment se déroulent les débats?
L’essentiel se passe par groupes parlementaires, comme dans un Parlement national. Ils doivent compter au moins vingt membres de six délégations. Il y en a cinq, de l'extrême-gauche à l'extrême-droite. Je fais partie de l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe, avec six des douze représentants de la Suisse. Il y a aussi des membres du FDP allemand ou de La République en Marche pour la France, par exemple.

Quelles différences avec vos habitudes bernoises?
L'ambiance est très différente. Par exemple lorsque des Azéris s'en prennent aux Arméniens ou inversement. Le contexte est parfois tendu: il y a eu des morts, certains ont perdu des membres de leur famille... Il y a des niveaux d'émotion qui sont rarement — voire jamais — atteints dans notre politique fédérale. J'avais déjà travaillé dans la diplomatie multilatérale par le passé, mais je comprends que cela puisse surprendre quand on arrive de Suisse. Lorsque certains collègues débattent avec des représentants d'un pays qui menace de vous envahir...

On vous prend au mot: ressentez-vous les tensions russo-ukrainiennes?
Absolument. On sent clairement la tension monter, tout comme les inquiétudes des pays qui se trouvent à proximité de la Russie. La tension est très forte et se manifeste dans les débats, puisque ce dossier sera évoqué plusieurs fois ces prochains jours. Notre assemblée a par exemple réclamé ce mercredi une enquête indépendante sur l'empoisonnement de l'opposant Alexeï Navalny, qui est désormais établi, et sa libération immédiate.

Vous pensez que cela peut faire changer les choses?
Il faut être très modeste. Au niveau géopolitique, ce n'est pas vraiment au Conseil de l'Europe que cela se joue. Notre assemblée s’occupe de l'Etat de droit, de la démocratie et des droits de l’homme, mais pas vraiment de sécurité. Le vrai lieu de dialogue pour ces questions est l'OSCE, et l'horizon est plutôt bouché. Cela dit, il y a tout de même des signaux positifs.

Lesquels?
Le simple fait que la Russie veuille faire partie de cette institution et y rester est intéressant. C'est un signe encourageant. La Suisse fait beaucoup d'efforts pour que les Russes ne soient pas éjectés du Conseil. La socialiste genevoise Liliane Maury-Pasquier y avait déjà contribué lorsqu'elle présidait l'assemblée (entre juin 2018 et janvier 2020, ndlr.).

Ancien collaborateur de Didier Burkhalter

Damien Cottier n'a accédé qu'en 2019 au Palais fédéral. Il fait donc partie de ces parlementaires qui n'ont connu Berne (et Strasbourg) qu'en temps de pandémie. «Pour le Conseil de l'Europe, c'est un peu frustrant parce que nous devons siéger en partie à distance», explique le libéral-radical.

Le Neuchâtelois est au bénéfice d'une large expérience politique. Assistant parlementaire de la sénatrice Michèle Berger-Wildhaber entre août 2002 et novembre 2003, Damien Cottier a ensuite été stagiaire au consulat général de Suisse à New York, puis responsable de projets à Economiesuisse et chef de la communication du PLR Suisse.

Le diplômé en relations internationales a aussi été chef de cabinet de Didier Burkhalter lorsqu'il était au DFAE, avant de rejoindre la mission suisse auprès de Nations unies, rôle qu'il a délaissé lorsqu'il a été élu sous la Coupole fédérale en automne 2019.

Damien Cottier, ouvertement homosexuel, s'était engagé pour que les gays puissent donner leur sang. Il est aussi coprésident d'un groupe parlementaire consacré aux LGBTAI+, avec la Genevoise Lisa Mazzone. L'objectif: coordonner les interventions aux Chambres fédérales pour réunir les forces.

Damien Cottier n'a accédé qu'en 2019 au Palais fédéral. Il fait donc partie de ces parlementaires qui n'ont connu Berne (et Strasbourg) qu'en temps de pandémie. «Pour le Conseil de l'Europe, c'est un peu frustrant parce que nous devons siéger en partie à distance», explique le libéral-radical.

Le Neuchâtelois est au bénéfice d'une large expérience politique. Assistant parlementaire de la sénatrice Michèle Berger-Wildhaber entre août 2002 et novembre 2003, Damien Cottier a ensuite été stagiaire au consulat général de Suisse à New York, puis responsable de projets à Economiesuisse et chef de la communication du PLR Suisse.

Le diplômé en relations internationales a aussi été chef de cabinet de Didier Burkhalter lorsqu'il était au DFAE, avant de rejoindre la mission suisse auprès de Nations unies, rôle qu'il a délaissé lorsqu'il a été élu sous la Coupole fédérale en automne 2019.

Damien Cottier, ouvertement homosexuel, s'était engagé pour que les gays puissent donner leur sang. Il est aussi coprésident d'un groupe parlementaire consacré aux LGBTAI+, avec la Genevoise Lisa Mazzone. L'objectif: coordonner les interventions aux Chambres fédérales pour réunir les forces.

En parlant de présidence, vous venez d’être choisi à celle de la commission des affaires juridiques. À quoi sert-elle?
Il s'agit de l'une des importantes commissions de l'assemblée. Le Conseil de l'Europe est garant du respect de la Convention européenne des droits de l'Homme et de l’application des arrêts de la Cour de Strasbourg qui sont obligatoires pour tous les pays. Nous rédigeons des rapports sur la situation dans certains pays ou dans certains domaines et envoyons des résolutions à l’attention des pays membres. Nous invitons les pays à changer leur législation ou leur pratique. Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe peut aussi développer des politiques.

Dans quels domaines par exemple?
Nous avons discuté cette semaine des avoirs illicites bloqués qui dans certains pays sont réutilisés au profit de la communauté, comme en Italie avec certains biens saisis à la mafia. Nous avons aussi débattu de la question des disparitions forcées qui sont un vrai drame dans plusieurs pays d’Europe (Russie, Caucase, ex-Yougoslavie, Chypre, …), car les familles de régions en conflit n’ont pas de nouvelles de ce qui est arrivé à leurs proches parfois pendant des décennies si les pays ne mènent pas d’enquêtes. Outre la souffrance causée, cela rend la réconciliation plus difficile après une crise.

Et la Suisse dans tout cela?
Ce n'est pas directement lié à la commission, mais on peut citer ici le travail du GRECO, le Groupe d'Etats contre la Corruption. Les travaux de cette institution du Conseil de l'Europe ne sont pas étrangers aux améliorations de ces dernières années dans la transparence du financement des partis dans notre pays. Attention: il ne s'agit pas d'imposer ou de reprendre directement des choses, mais d'influencer les pays vers les bonnes pratiques.

Cela fait deux ans que vous êtes à Strasbourg. Quel est le dossier où le Conseil de l’Europe a eu le plus d’impact?
Les conséquences de la crise en Catalogne sont un bon exemple. Il y a quelques mois, notre assemblée a débattu des personnes emprisonnées en Espagne à la suide du référendum d’indépendance. Il y a eu une vraie pression du Conseil de l'Europe qui a dit à l’Espagne qu'elle était en train d’aller trop loin dans les peines prononcées face à un processus politique. Le jour même des débats à Strasbourg, neuf prisonniers ont été graciés par le Gouvernement. La pression importante de notre institution n'y a certainement pas été étrangère. Il est heureux de voir parfois des effets directs. Notre Assemblée a aussi été active sur la question du Covid.

Dans quel sens?
Nous avons travaillé sur les certificats sanitaires, à la manière de celui qui est en vigueur en Suisse — avec 2G+/2G/3G — et analysé leur proportionnalité par rapport aux droits fondamentaux. Nous avons dû déterminer où nous placions le curseur entre discrimination et politique sanitaire, pour établir un cadre de référence pour les Etats. Dans ce sens, nous nourrissons le processus législatif des pays - et potentiellement une future jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Dans la période actuelle qui voit les droits fondamentaux reculer en plusieurs régions, c'est primordial. Le Conseil de l'Europe peut aider par exemple des ONG, des médias ou des partis en minorité pour faire pression sur le gouvernement d’un pays, aboutissant parfois à des évolutions.

Concluons sur un plan plus personnel: avant d’arriver au Conseil national, vous avez été chef de section à la Mission suisse auprès des Nations unies, en plus d’avoir collaboré pour Didier Burkhalter lorsqu’il était au DFAE. Qu’est-ce qui vous attire tant dans la diplomatie?
J'aime beaucoup le multilatéralisme. Il y a beaucoup de défis que l'on ne peut pas résoudre aujourd'hui au niveau national, parce qu'ils dépassent largement les frontières; il faut que les Etats coopèrent. En arrivant à Berne, faire partie de cette délégation à Strasbourg m'a tout de suite intéressé. Je pensais pouvoir apporter quelque chose grâce à mon expérience. Les délégués ne sont pas des diplomates, nous sommes des parlementaires: on fait de la politique, comme sous la Coupole fédérale. C'est stimulant. La Suisse a d'ailleurs toujours joué un rôle important dans cette institution, notamment Dick Marty avec son fameux rapport sur les prisons secrètes de la CIA en Europe de l'Est.

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