Ce vendredi, Timea Bacsinszky a décidé de mettre un terme à sa carrière, plus de deux ans après sa dernière apparition sur le circuit WTA. L’ancienne membre du Top 10 mondial était retombée au-delà de la 500e place mondiale après avoir accumulé les pépins de santé en tous genres. Aujourd’hui, la Vaudoise a préféré s’arrêter plutôt que de tenter un hypothétique come-back qui aurait probablement été compliqué à réaliser.
Fidèle à elle-même, la Lausannoise s’est confiée à cœur ouvert pour expliquer son départ. Entre remerciements et plans pour l’avenir, elle a tenté de mettre des mots sur ce choix qui s’est finalement imposé de lui-même.
Timea Bacsinszky, comment se passe votre journée?
Pffff. Par où commencer? (rires) C’est une journée chargée en émotions. J’ai fait mon annonce sur les réseaux sociaux en matinée. Rien que l’écriture de ce message n’était pas simple. J’ai au moins fait une dizaine de versions et j’ai passé trois heures à réfléchir à chaque mot. Je voulais réussir à dire tout ce que je voulais. C’est une page qui se tourne. Certains appellent le départ à la retraite une petite mort et, en un sens, je les comprends.
C’est vraiment ainsi que vous le ressentez?
Oui, car j’ai dédié toute ma vie, ou presque, au tennis. Lorsque je pense à tous les souvenirs incroyables que j’ai pu emmagasiner durant toutes ces années, c’est quelque chose d’extraordinaire et en même temps il faut être capable de dire au revoir à tout cela. D’ailleurs, vous l’entendez à ma voix… C’est vraiment un moment difficile et en même temps je suis vraiment reconnaissante de toutes les marques d’affection que j’ai reçues depuis mon annonce.
Vous avez été bombardée de messages?
Vous n’imaginez même pas. C’est si émouvant de lire tous ces témoignages de gens proches et moins proches. Il y a tellement de bienveillance et je trouve cela extrêmement beau. J’ai reçu énormément d’amour depuis mon annonce. Et, surtout en ce moment, je trouve qu’il n’y a pas assez d’amour dans ce monde.
Vous rendiez-vous compte que votre carrière avait à ce point marqué les gens?
Mais même aujourd’hui, je ne m'en rends pas compte (rires). Je n’ai pas joué au tennis pour marquer les gens ou pour recevoir quelque chose en retour de la part des spectateurs et de mon entourage. Ce matin, mon frère m’a envoyé un message pour me dire que grâce à moi il avait pu vivre des moments incroyables. C’est très touchant. Toute ma famille a été proche de moi ces derniers temps. Ils m’ont accompagnée dans mon choix.
Comment s’est passé le processus qui a mené à votre décision?
Petit à petit. Cela a mûri gentiment. Dans un premier temps, je voulais revenir fin mars 2020. J’aurais pu bénéficier d’un classement protégé qui m’aurait permis de revenir à la 99e place mondiale. A cet instant, j’étais prête physiquement. Je m’entraînais. Mais à cause de la pandémie du coronavirus, le circuit s’est interrompu. Finalement, je n’aurais pu faire mon retour au jeu qu’en tant que 300e mondiale…
Et cela ne vous disait pas?
Pour revenir parmi les meilleures, il m’aurait probablement fallu prendre un ou deux ans. Si j’avais 22 ans, j’aurais évidemment pris le temps. Mais à 32 ans, on ne pense pas la même chose. Qui plus est lorsque l’on a des problèmes de dos. Récemment, j’ai été gênée. J’aurais sûrement pu continuer à jouer sans douleur grâce à des infiltrations. Mais à quel prix? Il y a une vie après le tennis et je ne voulais pas risquer d’être handicapée durant les… Je touche du bois… durant les 60 prochaines années de ma vie. J’ai envie d’être maman et d’être capable de faire du sport avec mes enfants. Pour toutes ces raisons, je ne sais pas si j’aurais eu le feu pour revenir.
Vous connaissant un peu, on doute que vous n’ayez plus le feu…
Alors disons, est-ce que ce feu aurait été suffisamment vif pour accepter de faire tous ces sacrifices.
Qu’allez-vous faire désormais?
L’an passé, durant le confinement, j’ai appelé Swiss Tennis pour savoir s’il y avait moyen de faire une formation. Après tout j’ai été 9e joueuse mondiale, vice-championne olympique, demi-finaliste de Grand Chelem, mais je n’ai aucun diplôme. C’est hyper dur de suivre des cours lorsque tu es tout le temps aux quatre coins du monde. C’est pourquoi j’ai pu faire le diplôme d’entraîneur C de Jeunesse & Sport. J’ai toujours adoré étudier et m’enrichir.
Durant votre interruption de carrière, vous vous étiez lancée dans l’hôtellerie et la restauration, non?
Oui, c’était en 2012-2013. J’ai toujours aimé être au contact des gens. Parler avec eux et transmettre des choses. Et je ne dis pas que cette voie ne me plairait pas. Mais dans le même temps, je me dis que je fais partie d’un petit cercle de Suissesses à avoir été dans le Top 10 mondial. J’ai envie de partager cette expérience et d’en faire profiter d'autres. Sous quelle forme? Je ne sais pas encore. Mais dans l’hôtellerie, j’aurais tout recommencé à zéro et j’aurais été une novice. Tandis que là, j’ai déjà un certain bagage que j’ai acquis durant ma carrière de sportive d’élite.
Vous ne savez pas ce que vous allez faire concrètement?
Je me laisse plein de portes ouvertes. J’ai été sollicitée pour des conférences ou dans le cadre de Stade Lausanne où Erfan (ndlr Djahangiri, son ancien entraîneur) est coach. Allons-nous créer une structure? Pour tout vous dire, je ne sais pas encore exactement. Une carrière, ce n’est pas que du tennis. J’ai finalement été cheffe d’entreprise à mon insu en devant gérer une structure autour de moi. C’est une expérience qui peut être utile.
En rédaction, votre retraite a généré un débat… Quel est le moment le plus marquant de votre carrière? Les demi-finales de Roland-Garros ou la médaille d’argent à Rio?
Sacré débat (rires). Il y a tellement de moments marquants. Je vous donne un exemple tout simple. A 12 ans, lorsque j’ai gagné le tournoi des Petits As à Toulon, je pensais que j’avais remporté le truc le plus dingue au monde. Je ne savais pas l’importance qu’avaient les tournois du Grand Chelem. A chaque âge, tu as des moments forts. En 2014, lorsque j’ai battu Maria Sharapova, c’était fou. En 2015, je bats Ana Ivanovic à Pékin en demi-finale pour entrer dans le Top 10.
C’était un moment majeur, on imagine.
Clairement! Je me souviens d’avoir appelé ma famille. C’était tôt le matin en Suisse et 2h du mat' en Chine. Ils étaient tous ensemble et m’écoutaient sur haut-parleur. C’était émouvant de partager ce moment avec eux. Je leur disais «Mais vous vous rendez compte? Je suis dans le Top 10 mondial!». Et puis je pleurais (rires). Je n’ai jamais joué pour être No 1 mondiale, mais pour avoir du bonheur.
Et il y a tout de même eu plusieurs beaux moments…
Mais vous savez, je retiens aussi les moments compliqués. Ces instants où tu apprends ce qu’est la résilience. Ces moments de doute, où tu dois trouver un moyen de te reconstruire après une défaite. C’est un tout qui fait que cela te permet de te renforcer.
Donc vous ne retenez pas un moment majeur, si on résume?
Non, en effet. Mais il y a peut-être un moment que j’aime bien avoir en tête. C’était en 2015, lorsque j'ai gagné le tournoi d’Acapulco après avoir arrêté durant deux ans le tennis. C’était mon premier titre depuis six ans. Le lendemain de ma victoire en finale, je devais partir pour Monterrey où je jouais mon 1er tour le jour d’après. Mais ce soir-là, j’avais demandé aux organisateurs si je pouvais fêter ma victoire et s’ils pouvaient me fournir une bière. J’étais sur le balcon de ma chambre avec ma musique sur les oreilles à boire ma Corona et à profiter de l’instant présent. Dans le tennis pro, tu n’as jamais le temps de t’arrêter pour profiter. Là, j’y étais arrivée. Ce n’était peut-être pas le moment le plus marquant de ma carrière, mais c’était un moment que j’ai vécu comme un cadeau. Comme tout ce qui va désormais m’arriver dans la suite de ma carrière.