«C'est un job de projection»
Comment travaillent les dénicheurs de talents du football?

Sous la chaleur de Doha, ils observent sans applaudir. Les dénicheurs de talents sillonnent les tribunes du Mondial M17, cherchant dans chaque geste la trace d’un futur grand.
Publié: 19:02 heures
Partager
Écouter
1/2
Photo: FIFA via Getty Images
Blick_Bastien_Feller.png
Bastien FellerJournaliste Blick

Sous la chaleur de Doha, les tribunes du Mondial M17 ne sont pas seulement remplies de supporters ou de familles. Entre les journalistes et les techniciens, un autre public s’est glissé discrètement: les recruteurs et les agents. Carnet en main, regard vissé sur les jeunes talents, ils observent, notent, comparent. Dans ce tournoi où s’affrontent les meilleures promesses du monde, chaque passe, chaque attitude compte.

Mais comment travaillent-ils? Que scrutent-ils? Quelles différences avec les joueurs pros? «Quand tu observes un footballeur déjà professionnel, ton regard est beaucoup plus axé sur la performance», explique un recruteur. «Tu cherches à transposer ce que tu vois dans un autre environnement: comment il s’intégrerait dans un autre club, un autre système de jeu. Mais quand tu analyses un jeune, c’est complètement différent. Tu t’intéresses beaucoup moins à la performance pure. Tu regardes les qualités intrinsèques du jeune et sa marge de progression.»

«Avec l'expérience, tu affines ton regard»

Celle-ci dépend de nombreux facteurs: le club formateur, sa stratégie vis-à-vis des jeunes, l’environnement familial, la mentalité, le comportement sur le terrain comme en dehors. «Avec l’expérience, tu affines ton regard, mais il n’y a jamais de certitude. C’est un travail de projection, pas une science exacte.»

Les journées des scouts commencent tôt et finissent tard. Ils enchaînent les matches, foncent souvent dans l'inconnu. «Pour les jeunes, tu n’as presque aucune donnée. Tu dois tout découvrir toi-même, sur le terrain, à travers les discussions, les rumeurs, les attitudes. Ensuite, tu rédiges un rapport avec le contexte du match, les conditions, et toutes tes observations», poursuit notre interlocuteur.

Un travail de l'ombre

Sur un match, il se concentre sur un seul joueur. «Si tu veux vraiment l’analyser, tu ne peux pas en suivre plusieurs à la fois. Dès que tu repères un profil intéressant, tu le suis pendant plusieurs rencontres. Tu veux voir s’il répète les bonnes choses, s’il progresse, comment il réagit dans un contexte différent.»

Le travail se fait souvent dans l’ombre. Certains scouts sont envoyés par des clubs, d’autres directement par des agences. «Aujourd’hui, les agences fonctionnent presque comme des clubs. Elles ont leurs propres recruteurs, elles te donnent un profil-type à chercher: poste, âge, caractéristiques. Et c’est à toi de trouver le profil correspondant.»

L’incertitude, compagne de route

Reste qu'à 16 ou 17 ans, tout peut encore basculer. «Certains jeunes explosent après une croissance tardive. D’autres s’éteignent. Sur le plan technique, on se trompe rarement, mais le développement physique et mental reste imprévisible.»

Un autre scout rencontré à l'Aspire Zone de Doha acquiesce. «Le risque zéro n’existe pas. Ce qui fait la différence, c’est la mentalité: la résilience, la capacité de travail, la régularité. Tu peux deviner ces traits, mais il suffit d’un événement personnel pour tout changer. On essaye juste de minimiser le risque», explique cet autre habitué des tournois de jeunes.

Doha, laboratoire du futur

Dans une compétition comme celle-ci, tout s’accélère. L'enchaînement des rencontres permet d'en apprendre plus. Mais aussi peut-être de se perdre. «Tu peux aller très vite dans ton évaluation, mais c’est aussi piégeux. Certains brillent sur un tournoi et disparaissent dans la foulée», admet-il, la tête certainement pleine d'exemples. «Tu dois garder la tête froide.»

Autour des terrains, les agents se mêlent aux recruteurs. Certains accompagnent leurs joueurs, d’autres viennent pour prendre la température ou même tout simplement par curiosité. «On observe aussi tout ce qu’il y a autour: la famille, l’attitude à l’échauffement, le comportement après une erreur. Ce sont des indices sur la personnalité du gamin», explique un conseiller de passage à Doha pour quelques jours.

Pendant que les caméras se braquent sur les buts spectaculaires, eux scrutent un contrôle orienté, un appel bien senti, un regard vers un coéquipier démarqué. Des détails qui font toute la différence. Car c’est là, dans ces petits gestes, que se devine parfois la trace d’un futur grand du ballon rond.

Partager
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la
Articles les plus lus
    Articles les plus lus