Danilo Wyss n'a pas une minute à lui en ce mardi après-midi, dans la zone d'arrivée du prologue du Tour de Romandie, à Payerne, passant allègrement du plateau de la RTS, où ses qualités de consultant sont appréciées, à la zone VIP pour soigner ses relations publiques, son nouveau métier. Le Vaudois, cycliste professionnel durant près de quinze ans, a le contact facile, parle bien et se plaît dans son après-carrière, celle de responsable romand d'Athletes Network, une agence de recrutement un peu particulière puisqu'elle est entièrement consacrée aux sportives et aux sportifs.
Durant sa carrière, Danilo Wyss a toujours pensé plus loin que le bout de son guidon, ce qui n'est (pour l'instant) de loin pas le cas de tous ses collègues, qu'ils soient cyclistes, footballeurs, skieurs ou encore hockeyeurs. «L'hiver, j'allais toujours travailler chez un de mes sponsors, Audemars Piguet. Ce n'était pas pour l'aspect financier, parce que le vélo me suffisait pour vivre, mais pour élargir le champ de mes possibilités», explique celui qui est convaincu que les sportifs de haut niveau à la retraite ont énormément à apporter au monde de l'entreprise. Et qui le met en pratique tous les jours.
Une après-carrière floue
La question angoisse en effet beaucoup de sportifs une fois qu'ils ont passé la trentaine. Si certains, une minorité, ont suffisamment gagné d'argent pour s'épargner le stress financier d'une reconversion réussie, ce n'est de loin pas le cas de toutes et tous. Le premier réflexe, ou la première envie, est souvent de rester dans le milieu qui les a nourris depuis la fin de leur adolescence, mais tous les footballeurs ne deviennent pas entraîneurs ou directeurs sportifs. De loin pas, même. Et encore moins ont mis suffisamment d'argent de côté pour pouvoir s'arrêter de travailler, ne serait-ce qu'une année ou deux.
Également croisé sur le Tour de Romandie, Daniel Atienza confirme le constat. Classé dans le top 20 aussi bien sur la Vuelta que sur le Giro et dans le top 30 au Tour de France, le Vaudois a de quoi être fier de sa carrière de cycliste professionnel, sans avoir été une immense star. Mais, à 32 ans, il a bien fallu penser à la suite, qu'il n'avait pas du tout anticipée. «Je me suis alors demandé quoi faire... J'avais fait le gymnase avant de commencer ma carrière professionnelle, mais ensuite, plus rien. C'est vrai que c'est souvent le cas pour la plupart des cyclistes ou autres sportifs professionnels, il faut bien le dire. On est tellement dans notre monde, dans notre milieu, concentrés sur ce qu'on fait, qu'on a l'impression que ça ne va jamais s'arrêter. Très peu préparent leur après-carrière», confiet-il, même si les chiffres officiels d'Athletes Network parlent de 60% d'athlètes (hors footballeurs) possédant un diplôme d'université ou de haute école.
«Quand vous êtes sportif de haut niveau, vous n'avez pas toujours le réflexe de vous former, mais le sport de haut niveau est une école de vie fantastique, insiste Daniel Atienza. On n'a pas forcément les connaissances pratiques ou techniques que l'on imagine de prime abord pour intégrer le monde de l'entreprise, par contre, l'expérience de vie est énorme.» Le Vaudois œuvre désormais aussi bien dans le recrutement que dans le conseil clientèle au sein du monde des assurances. «Et justement, les profils d'anciens sportifs m'intéressent, parce que celui qui a réussi dans le sport, c'est parce qu'il a eu une discipline et une structure, autant de qualités qui sont très recherchées dans le monde professionnel.»
Dans le cas de Daniel Atienza, la porte de sortie, ou plutôt la porte d'entrée vers sa nouvelle vie a donc été vite trouvée. «Ce qui était important pour moi, c'était de ne pas perdre de temps.» Pourquoi ne pas profiter d'une année sabbatique ou deux pour se reposer les mollets et s'aérer l'esprit? «Parce que quand tu es cycliste professionnel, tu mets une telle énergie, une telle motivation dans ton entraînement, et donc dans ton quotidien, que si tu arrives à mettre la même énergie dans ta reconversion, tu ne peux que réussir. Et j'ai souvent entendu qu'on avait réussi sa carrière si on avait réussi sa reconversion.»
Danilo Wyss est d'accord à 100% avec le constat. «Je me faisais la même réflexion quand j'étais coureur. Parce qu'arriver à 35 ans et se retrouver en difficulté m'aurait fait relativiser sur la gestion de ma carrière, indépendamment des courses remportées ou non», assure l'ancien coureur de BMC.
Un pied dans le monde du travail
Si Daniel Atienza a opté pour le monde des assurances pour une raison principale et évidente, à savoir la possibilité de se former en cours d'emploi, Danilo Wyss assure que le champ des possibles est bien plus large. «Un sportif de haut niveau a plusieurs qualités fortes à apporter au monde du travail. Il a l'habitude d'avoir des objectifs et de travailler pour les atteindre. Il sait comment s'insérer dans une équipe, connaît ses forces et ses faiblesses. Il sait s'organiser, s'autogérer, il sait comment structurer son travail…» Autant de soft skills qui sont désormais mis à la disposition des 90 entreprises partenaires que compte Athletes Network.
«Le principe est simple: nous avons environ 3000 athlètes que nous accompagnons dans leur reconversion. Ils ne paient rien et s'inscrivent gratuitement auprès de nous. Et nous, nous agissons comme une entreprise de placement en leur faisant rencontrer les bonnes personnes et en assurant un certain suivi derrière», explique Danilo Wyss, qui conseillait environ une dizaine de cyclistes sur le Tour de Romandie qui vient de se terminer.
Son agence, qui compte environ un tiers de sportives sous contrat, accompagne en effet les athlètes retraités, mais aussi celles et ceux qui sont en pleine carrière, afin qu'ils pensent déjà à demain, voire à aprèsdemain pour les plus jeunes. «Une carrière, c'est long et court en même temps. Parfois, pendant la journée, vous avez du temps pour vous former, que ce soit en apprenant une langue ou en suivant des études, parfois à distance. Bien sûr que c'est toujours mieux d'arriver sur le marché du travail en ayant un bagage technique. Mais le vécu compte aussi beaucoup», assure l'ancien cycliste, qui estime à «environ 20%» le nombre d'anciens athlètes ayant de la peine à trouver un travail une fois leur retraite de sportif ou de sportive arrivée.
Ainsi, concrètement, un garage qui collabore avec Athletes Network a peu de chances de trouver un mécanicien dans le panel d'anciens sportifs, mais peut tout à fait imaginer faire d'un ancien sportif un vendeur, un comptable ou un conseiller clientèle. «Nos athlètes actifs peuvent aussi aller faire des conférences chez un potentiel futur employeur, explique Danilo Wyss. C'est une façon d'avoir un revenu complémentaire pendant leur carrière, tout en mettant déjà un pied dans le monde du travail.»
«Nous essayons d'avoir le plus de diversité possible et, parfois, d'aller là où on n'attend pas forcément un ancien athlète», continue l'ex-cycliste, dont la société, fondée voilà quatre ans notamment par l'ancien footballeur de haut niveau Benjamin Huggel, grandit de jour en jour, preuve de sa pertinence et de l'intérêt qu'elle suscite dans le monde du sport.