Une chronique de Mathilde Mottet
Les réels casseurs à la manifestation pour la flottille pour Gaza étaient les flics

Dans sa nouvelle chronique, Mathilde Mottet, ex-coprésidente des Femmes socialistes suisses, raconte sa participation à la manifestation du jeudi 2 octobre à Genève en solidarité avec la Global Sumud Flotilla et dénonce les comportements de la police genevoise.
Publié: 09:41 heures
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Dernière mise à jour: il y a 54 minutes
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«J’ai la rage.» Mathilde Mottet est sortie de la manifestation choquée et en colère.
Mathilde Mottet
Mathilde MottetChroniqueuse Blick

J’écris cette chronique avec la rage au ventre. Jeudi soir, aux côtés de milliers d’autres personnes, je suis allée manifester à Genève pour demander la libération de nos camarades de la Sumud Flotilla, kidnappé·es par l’armée d’occupation israélienne. Pour demander la fin du génocide à Gaza par Israël. Et aux personnes qui demandent le respect du droit international, la police genevoise et Carole-Anne Kast, la Conseillère d’Etat chargée de la sécurité, ont réservé une violence que je n’avais jamais vue en Suisse. 

J’ai la rage aussi parce que, depuis, je lis des dingueries dans la presse de la part de journalistes biberonné·es à CNews et d’une conseillère d’Etat qui nous réchauffent leurs éternelles théories bidons sur les casseurs provocateurs. Vous décevez de prévisibilité. Alors laissez-moi vous raconter cette manifestation telle que je l’ai vécue. 

Début de manifestation tranquille

Retour en arrière. C’est pas encore 18h quand je sors de chez moi. Je pédale en direction de la gare, keffieh au vent. En chemin, je dépasse une vingtaine de policiers en moto, équipés en mode full robocop. On va sûrement à la même manif, et ça me fait rigoler sur le moment. Petite bière aux Brasseurs avec mes potes, bonne ambiance. La ferveur est là: vous savez, quand vous sentez dans le ventre que le moment est important. On se partage des masques FFP2 et des capsules de sérum physiologique. Mieux vaut se préparer à devoir se protéger si les flics décident d’utiliser des gaz lacrymogènes, ce qu'on a déjà vécu.

On bouge gentiment à la place Lise-Girardin. Y’a du monde, beaucoup de monde. Je dis salut à des gens que je connais. Y’a des jeunes, des moins jeunes, des enfants, des gens arrivent encore depuis la gare. Des drapeaux palestiniens fendent le ciel orange du jour tombant. Tout d’un coup, petit feu de camp à une dizaine de mètres devant nous, grosse fumée noire, et la manifestation avance. Ce qui est extraordinaire avec les manifestations pour la Palestine, c’est qu’on n’arrête jamais de chanter notre colère face à la violence sioniste en même temps que notre joie d’être si nombreux·ses. Nous sommes tous des enfants de Gaza! Free free Palestine! Vive la lutte du peuple palestinien! Palestine vivra, Palestine vaincra! Tout le monde déteste les sionistes! (@Baptiste, je sais déjà que c’est pas vrai, pas besoin d’en faire une chronique cette fois). 

Des grenades lacrymogènes sur la foule

On est maintenant sur le Pont du Mont-Blanc. Une consigne se répand, chantée elle aussi: «Sur le pont, avancez vite», pour éviter que la foule se retrouve nassée, une technique bien connue des poulets qui consiste à encercler un groupe de manifestant·es pour l’empêcher de bouger. Au bout, on voit les lumières bleues des voitures de flics. Je coince mon masque sur le nez, keffieh sur les cheveux pour me protéger, on avance. A 20 mètres de moi, un barrage de policiers suréquipés qui entourent un canon à eau pointé sur nous. La peur monte, on se serre, on reste calmes, pacifiques. On avance. C’est pas comme s’il y avait mille autres issues. 

Et là, sans entendre d’avertissement, on commence à recevoir des jets d’eau dans la gueule. Mon masque et mes lunettes giclent. Les flics jettent des grenades lacrymogènes dans notre direction. Mouvement de foule qui recule, les yeux qui brûlent et le gosier en feu, on cherche de l’air à respirer, distribution de sérum phy sur les visages en détresse, on crie de rester calmes pour se calmer soi-même et éviter les drames, les lacrymos continuent. 

On recule, des enfants pleurent. Plein de gens autour de moi comprennent rien, choqué·es, c’est la première fois qu’ils se font gazer. Beaucoup rentrent, traumatisé·es, blessé·es. Un millier de personnes chante encore. C’est pas clair dans quelle direction on continue à marcher parce que les flics bloquent le pont et la rue d’où est descendu·es il y a une heure. Alors depuis le quai du Mont-Blanc, on remonte la rue des Alpes. On est orphelin·es du groupe de tête qui nous protégeait plus tôt, et ça me stresse. 

Un répit de courte durée

Et là, devant la gare, ça repart en cacahuète: une demi-douzaine de policiers lancent tout autant de grenades lacrymogènes sur les manifestant·es et les passant·es qui attendaient le bus. Nouveau mouvement de panique, les gens autour de moi courent pour échapper aux gazs. Les flics commencent à courir après les manifestant·es en visant leurs tibias avec leur matraque. Je vous rassure, ce sprint dans un nuage de fumée poivrée, un robocop à mes trousses attiré par mes mollets musclés (merci ma nouvelle passion pour le vélo), je suis pas près de l’oublier. 

Alors qu’on pensait s’être réfugié·es dans la gare, les poulets nous poursuivent, gazent l’intérieur de la gare, une personne à côté de moi trébuche dans les escaliers, on se tient par les coudes. On sait pas où aller pour être en sécurité, certain·es disent «sur les quais c’est safe», d’autres essaient de sortir par derrière mais on a peur de se faire nasser. Finalement, 5 minutes de calme. Puis derrière, ça recommence: lacrymos, on est repoussé·es à l’intérieur de la gare. A ce stade, la stratégie des flics, même s'ils ne sont pas les chips les plus croustillantes du paquet, est illisible. 

Des grenades lacrymogènes dans la gare

Mais l’énergie est encore là: «Gaza, Gaza, Genève est avec toi» résonne fort dans le hall de la gare. Ça fait du bien. Nos larmes ce soir viennent des gaz lacrymogènes, mais à Gaza, les gens pleurent les enfants dont Israël arrache la vie. A Gaza, les grenades font plus que piquer les yeux et les balles ne sont pas en caoutchouc, et ça, on l’oublie pas.

Puis les flics s’invitent à la fête et gazent tout le hall, ce qui provoque un effet d’engorgement vers la sortie. Encore un truc super dangereux, mais bon, est-ce qu’il faut encore prouver que la police n’est pas le fromage le plus affiné du terroir? A ce stade, il est 21h30 et j’en ai plein le cul. Je veux juste une bière. Mais même ça c’est pas possible puisque des policiers à la masculinité quelque peu fragile décident de tirer des grenades lacrymogènes sur la terrasse du bar la Petite Reine 4 fois de suite. 

Echec des stratégies d’intimidation de la police

Alors j’ai la rage. Jeudi soir, il n'y avait pas «des bons et des mauvais manifestant·es». Il y avait juste des manifestant·es pour la libération de la Palestine. Et les réels casseurs, c’est ceux qui nous ont gazé·es, tabassé·es, poursuivi·es. Les vitrines cassées, les tags, les feux de poubelles, c’est la violence d’Etat qui les ont provoqué (et qu’est-ce qu’on s’en fout d’un peu de dégâts matériels alors qu’un peuple entier se fait génocider). On ne se laissera ni intimider, ni décourager. On reviendra, et encore plus nombreux·euses. Jusqu'à ce que la Palestine soit libre du Jourdain à la mer.

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