La chronique de Christian Dandrès
Fiscalité: de quoi se plaignent-ils?

Les milieux économiques s’indignent d’une initiative qui toucherait les héritages de plus de 50 millions, mais oublient opportunément les multiples cadeaux fiscaux dont ils bénéficient depuis des décennies, rappelle notre chroniqueur Christian Dandrès.
Publié: 17:58 heures
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Le conseiller national Christian Dandrès soutient l'«initiative pour l'avenir».
Christian Dandrès
Christian DandrèsConseiller national

Les milieux patronaux s’offusquent du caractère prétendument «extrême» de l’«initiative pour l’avenir», soumise au vote le 30 novembre. Rappelons qu’elle vise à imposer à hauteur de 50% les héritages et les dons supérieurs à 50 millions de francs, afin de financer des mesures de protection du climat socialement justes.

Sans rire, les milieux en question multiplient les déclarations pour accréditer l’idée qu’ils seraient taxés jusqu’à l’os et qu’ils étoufferaient sous le poids d’impôts en tout genre. Ils n’ont vraiment pas peur du ridicule… 

Mille et un privilèges fiscaux…

Historiquement, en Suisse, les possédant·e·s ont toujours bénéficié de mille et un privilèges fiscaux: 

  • Des taux d’imposition modérés sur la fortune et les revenus élevés
  • Un fédéralisme fiscal synonyme de dumping
  • L’absence d’impôt sur les gains en capitaux (bénéfices réalisés lors de la vente de placements financiers)
  • Des déductions fiscales massives, comme les rachats dans le 2e pilier (même la Commission des affaires sociales du Conseil des États considère que cela s’est «partiellement transformé en un véhicule d’optimisation fiscale»!)
  • Des taux d'imposition sur le bénéfice et sur le capital des entreprises très réduits en comparaison internationale
  • Et bien d’autres encore

…et ça s’accentue. Depuis le début des années 1990, la politique de défiscalisation au profit des grands patrons et actionnaires s'est encore accentuée, comme en témoignent les mesures suivantes: 

  • La suppression de l'impôt sur le capital au niveau fédéral
  • Les baisses successives de l'imposition des droits de timbre
  • La réduction massive de l'imposition des dividendes
  • La défiscalisation de la restitution des apports en capital
  • Le démantèlement, canton après canton, des impôts sur les successions
  • L'introduction de «boucliers fiscaux» pour les ultra-riches
  • La multiplication des exonérations fiscales et autres «statuts fiscaux spéciaux» (pour les sociétés holdings, de domicile ou mixtes), remplacés depuis par de nouvelles niches fiscales

Le démantèlement des impôts sur les successions, pour ne prendre que cet exemple, a eu des effets particulièrement significatifs. Comme le souligne Marius Brülhart, codirecteur du Centre de politique fiscale de l’Université de Lausanne, «en retournant tout simplement aux taux appliqués dans les cantons autour de 1990, avant la grande vague d’abolition de ces impôts, on ferait plus que doubler l’impôt tout en restant loin en dessous de taux confiscatoires.

En 1990, le franc hérité moyen était frappé d’un impôt de 4,3 centimes. Aujourd’hui on est à 1,6 centime. (…) Un retour vers des taux en vigueur il y a 35 ans apporterait quelque 2,5 milliards de rentrées fiscales supplémentaires.» 

Encore et toujours un paradis fiscal

Pour ce qui est des entreprises, la Suisse a certes dû réaménager partiellement, sous la pression internationale, sa politique de dumping, mais elle demeure, incontestablement, un paradis fiscal. «Les cantons suisses en tête sont parfois plus attractifs que l'Irlande, Singapour et Hong Kong.

Même le canton suisse où la charge fiscale est la plus élevée se situe encore nettement devant d'importants sites concurrents comme Londres, Vienne, Milan, Munich et Paris.» Concrètement, selon cette même source, le taux moyen d’imposition des entreprises en Suisse est de 13,5% (en 2003, il était de 19,7%). A l’échelle internationale, la moyenne est de 23,6%. 

Un système fiscal dégressif!

Il en découle que la part des richesses socialisée, même à la marge, qui était déjà historiquement très limitée, a encore diminué. De surcroît, du moment où les impôts qui frappent le revenu du travail n’ont quasiment pas changé, la dite «charge fiscale» s’est clairement déplacée au détriment des salarié·e·s. Plus largement, si l'on inclut les primes d'assurance maladie, qui s'apparentent à des impôts, la Suisse a carrément un système fiscal dégressif! 

Résultat des courses: la hausse de la fortune accaparée par les possédant·e·s. Alors qu’en 1989, les 300 personnes les plus riches de Suisse disposaient d’une fortune cumulée de 82 milliards, aujourd’hui, ce montant est dix fois plus grand: 833,5 milliards

Mettons un cran d’arrêt à cette politique antisociale: votons «oui», le 30 novembre, à l’«initiative pour l’avenir»!

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