La polémique judiciaire est assurée. Dans les heures et les jours qui viennent, la très lourde condamnation de Nicolas Sarkozy à cinq ans de prison ferme (avec mandat de dépot qui interviendra avant l'appel) pour «association de malfaiteurs» va relancer le débat sur l’indépendance des magistrats, et l’importance accordée aux faits dans leur jugement des affaires politico-financières. D’autant que les juges ont alourdi la note en parlant d'éléments «d’une gravité exceptionnelle» dont le but «était d’organiser une corruption au plus haut niveau possible une fois élu».
L’ex-chef de l’Etat a sans surprise, riposté, à la sortie du tribunal, en se disant victime d’une insupportable injustice. «Je demande aux Français, qu’ils aient voté ou non pour moi, qu’ils me soutiennent au pas, d’apprécier ce qui vient de se passer. La haine n’a donc décidément aucune limite (..) Tout cela est très grave pour l'Etat de droit», a-t-il déclaré, misant sans doute sur une forme d’indignation populaire. Son argument? Des juges français vont envoyer en détention un ancien président qui ne pose aucun danger pour la société, sur la base d’éléments certes concordants mais sans preuve matérielle irréfutable de corruption». Quid des criminels relâchés après une tentative de viol ou un tabassage de policier? Quid de cette justice bien plus sévère avec les anciens dirigeants élus qu’avec les trafiquants ou délinquants qui empoisonnent l’atmosphère du pays?
Vingt ans plus tard…
Cette réponse est, malheureusement pour ceux qui la formulent, juste inacceptable et impossible à entendre. Près de vingt ans se sont écoulés depuis les faits reprochés à Nicolas Sarkozy et à son clan. Vingt ans pendant lesquels les onze prévenus sont restés en liberté. Vingt ans pendant lesquels ils se sont efforcés d’enterrer cette affaire de corruption massive. Vingt ans pendant lesquels Nicolas Sarkozy a espéré faire oublier les soupçons qui pèsent sur ses liens avec le défunt dictateur Kadhafi. Vingt ans que ses avocats pilonnent la justice pour le manque de preuves tangibles, les déclarations contradictoires de ses accusateurs, et l’obligation de lui accorder le bénéfice du doute.
Le problème, pour ceux qui défendent encore Nicolas Sarkozy – et ils en ont le droit absolu – est que les visites à Tripoli et les virements d’argent via Genève ont bien eu lieu. Et que, pour les juges, un homme tel que l’ancien président ne pouvait pas rester ignorant de ces pratiques. Voilà donc le cœur de l’accusation: «Sarko» a couvert des agissements dont il connaissait le caractère illégal et criminel. Pire: il l’a fait une fois élu président, à partir de l’Elysée, ce sanctuaire républicain.
Procès en appel
Il faut le redire à ce stade de la procédure, avant un futur procès en appel, comme pour les autres affaires dans lesquelles Nicolas Sarkozy est impliqué. Ce président-là a abîmé la République en tolérant autour de lui un clan d’affairistes dont il était le chef incontesté. Il est aussi logique, à la lumière de ce jugement, de se demander rétrospectivement si ce dossier criminel et financier n’a pas pesé dans la décision prise d’intervenir militairement en Libye pour aider les rebelles anti-Kadhafi. Le soupçon, en la matière, est le plus grave des poisons politico-judiciaire. La volonté discutable de faire passer Sarko par la case prison, avant même l'appel, trouve sans doute là une explication.
Nicolas Sarkozy était au sommet de l’Etat. Il était le garant de l’indépendance des juges. Il avait pour mission de défendre la réputation de la France, et de mettre sa puissance au service des intérêts de la nation. Ce procès vient de jeter un doute de plus sur son mandat, et sur ses deux campagnes électorales, celle victorieuse de 2007 et celle de 2017, perdue face à François Hollande. De quoi alimenter la colère des Français envers ceux qui les gouvernent. Ce qui ne les empêchera pas de s’interroger, aussi, pour des raisons légitimes, sur les motivations, les priorités et les décisions de ceux qui jugent.