L'affaire en cinq questions
Argent libyen de Sarkozy: l'heure du jugement a sonné

L'ancien président français saura, ce jeudi 25 septembre à partir de dix heures, s'il est déclaré coupable et condamné pour avoir reçu des millions d'euros du défunt colonel Kadhafi. Vingt ans après les faits...
Publié: 08:41 heures
Partager
Écouter
1/5
En décembre 2007, moins d'un an après son élection à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy reçoit à Paris le colonel Kadhafi.
Photo: AP
Blick_Richard_Werly.png
Richard WerlyJournaliste Blick

Il n’entendra pas le président du tribunal correctionnel de Paris prononcer l’un des jugements les plus attendus de l’histoire de la République française. Mardi 23 septembre, Ziad Takieddine (75) est décédé à Beyrouth deux jours avant l’audience finale du procès de l’affaire des fonds libyens présumés encaissés par Nicolas Sarkozy pour financer sa campagne présidentielle victorieuse de 2007 face à la candidate socialiste Ségolène Royal. Un décès qui rajoute à la légende noire de cette affaire, car Takieddine, en plus d’être l’un des prévenus, était l’un des accusateurs en chef de l’ancien président.


Que va-t-il se passer à partir de dix heures, ce jeudi 25 septembre, au Palais de justice de Paris où les douze coaccusés du procès, dont Nicolas Sarkozy, auront pris place? Et surtout, quelle sera la version des faits retenue par les magistrats, vingt ans après les faits de cette saga politico-financière transformée en séisme géopolitique par la révolution libyenne de 2011 soutenue par la France et le Royaume-Uni, dont l’intervention militaire à cette époque demeure très controversée.

Kadhafi-Sarkozy, corrupteur et corrompu?

C’est la thèse centrale du Parquet national financier (PNF) qui a mené l’accusation lors du procès qui s’est tenu du 6 janvier 2024 au 10 avril. Pour le PNF, l’absence de preuves matérielles de l’encaissement d’environ six millions d’euros – la somme présumée versée par le régime du colonel Kadhafi – par l’entourage de Nicolas Sarkozy ou par l’ex-président lui-même n’empêche pas l’affaire d’être solidement étayée. Le 25 mars, devant un Nicolas Sarkozy sonné et affublé, à sa cheville, d’un bracelet électronique en raison de sa condamnation dans une autre affaire, le procureur avait fustigé «un pacte de corruption inconcevable, inouï, indécent» noué par l’ancien chef de l’Etat. Lequel a toujours clamé son innocence.

Kadhafi, le grand manipulateur

Le procès a permis d’exposer les circuits opaques de l’argent libyen qui, sous forme de pots-de-vin, déferlait sur la France et l’Europe durant les dernières années du régime de Mouammar Kadhafi, tué le 20 octobre 2011 dans un convoi qui tentait de l’extirper de Syrte, son fief natal. Une grande partie de cet argent passait par Genève où deux coaccusés avaient leurs habitudes: l’entremetteur sulfureux Alexandre Djouhri et l’ex-banquier Wahib Nacer. Les rencontres sont prouvées entre plusieurs membres de l’entourage très proche de Sarkozy, comme l’ancien ministre Brice Hortefeux (coaccusé) et des dignitaires libyens. Y a-t-il eu, dans la foulée, convoyage de valises remplies d’espèces? C’est la thèse retenue depuis le début par Mediapart, qui a lancé l’affaire. Et, durant le procès, par le Parquet national financier.

Sarkozy, le président affairiste

L’ancien président français, au pouvoir entre 2007 et 2012, n’en finit pas de fréquenter les juges. Il pourrait, ce jeudi à Paris, être condamné à sept ans de prison, 300’000 euros d’amende et 5 ans d’inéligibilité s’il est déclaré coupable. Cette peine requise par le procureur est la plus importante encourue par un ancien chef de l’Etat. «Sarko», comme on continue de le surnommer, est aussi le seul président français à avoir été, depuis la décision de la Cour de cassation le 18 décembre 2024, condamné définitivement à trois ans de prison, dont un an ferme, dans l’affaire dite des écoutes téléphoniques. D’où le port du bracelet électronique en plein procès de l’affaire libyenne. Tout au long de ces épreuves judiciaires, Nicolas Sarkozy a défendu son innocence, accusant les magistrats de lui faire la guerre.

Autour de Sarko, un clan problématique

L’inventaire des coaccusés inculpés dans cette affaire des fonds libyens est une fresque sombre pour la classe politique française, et pour la droite en particulier, dont Nicolas Sarkozy était alors le chef (et reste le parrain). L’un de ses meilleurs amis, l’ancien ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux, est soupçonné d’avoir personnellement reçu de l’argent de proches de Kadhafi lors de voyages à Tripoli. Son successeur Claude Guéant, un préfet respecté qui fut aussi Secrétaire général de l’Elysée, dont l’homme clé de la présidence, a été pris la main dans le sac pour blanchiment d’argent via des vraies-fausses toiles de maître. S’y ajoute la personnalité d’Alexandre Djouhri, un ex-délinquant devenu l’un des intermédiaires les plus fortunés de la République. Le clan Sarkozy ne sortira pas indemne de ce procès.

Les fonds libyens, une affaire d’Etat

Tout remonte à l’attentat en septembre 1989 contre un vol commercial de la compagnie française UTA, dont un avion s’écrase dans le désert du Niger. 170 personnes trouvent la mort. Or ce crime a été perpétré par le régime du colonel Kadhafi, et coordonné par son chef des renseignements Abdallah Senoussi, également présumé coupable d’avoir ordonné l’attentat de Lockerbie, en Ecosse, en décembre 1988. Tout tourne autour de ce personnage que Kadhafi aurait cherché à blanchir à force de millions d’euros (de six à vingt millions selon les témoignages). Deux autres faits concourent à transformer ce procès en affaire d’Etat: l’invitation de Kadhafi à Paris par Sarkozy en décembre 2007, et l’intervention militaire française en Libye en août 2011, qui a conduit à sa chute. Reste une évidence: l'absence de preuves matérielles du «pacte de corruption». S'il était déclaré non coupable, Nicolas Sarkozy sortirait d'un tunnel judiciaire sans fin. 

Partager
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la
Articles les plus lus
    Articles les plus lus