Cet homme était le cauchemar de Nicolas Sarkozy. Et aussi d’une partie de la classe politique française. Ziad Takieddine, décédé mardi 23 septembre à 75 ans à Beyrouth, incarnait ce que beaucoup de politiciens français redoutent de voir exposé en pleine lumière: les coulisses sombres de la raison d’Etat et des arrangements passés, jadis, entre un certain nombre de dictateurs africains et le palais de l’Elysée.
Dans le cas de Takieddine, intermédiaire peu scrupuleux, le corrupteur présumé était l’homme fort de la Libye, Mouammar Kadhafi, tué le 20 octobre 2011 dans son fief de Syrte, par des rebelles aidés et financés par la France. Selon les accusations de Mediapart, à l’origine de l’affaire des fonds libyens qui sera jugée ce jeudi 25 septembre à Paris, prés de six millions d’euros en espèces, versés par le dictateur de Tripoli, auraient servi à financer une partie de la campagne présidentielle victorieuse de «Sarko» en 2007.
Eléments concordants
Dix-sept ans après les faits, le procès de cette affaire s’est enfin tenu à Paris en mars. Le Parquet national financier (PNF), se basant sur des éléments concordants et sur plusieurs témoignages, dont celui de Ziad Takieddine, a alors accrédité la thèse de la corruption dans ses réquisitions. Le 27 mars 2025, le procureur a requis sept ans de prison, 300'000 euros d’amende et une peine d’inéligibilité à l’encontre de l’ex-président, considéré comme un «commanditaire».
Motif? Corruption passive, recel de détournement de fonds publics, financement illégal de campagne électorale et association de malfaiteurs. Le jugement en première instance, qui interviendra ce jeudi, sera sans doute suivi d’un appel.
La disparition de Ziad Takieddine, trois jours avant le jugement, va à coup sûr ajouter à la légende noire de cette affaire qui, selon Nicolas Sarkozy, est une cabale montée de toutes pièces contre lui. Parmi les coaccusés figurent, outre l’intermédiaire libanais décédé, un autre entremetteur controversé des allées françaises du pouvoir, l’ex-résident genevois Alexandre Djouhri, mais aussi l’ex-Secrétaire général de l’Elysée Claude Guéant et l’ancien ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux.
Takieddine, repris de justice
Tous étaient en contact avec l’intermédiaire libanais, habitué des Palais de justice. Il avait déjà été condamné mi-2020 à cinq ans de prison ferme dans le volet financier de la tentaculaire affaire Karachi, un système de commissions occultes sur des contrats d’armement français avec l’Arabie saoudite et le Pakistan dans lequel l’ancien Premier ministre Edouard Balladur s’était retrouvé mis en cause. Il s’était réfugié au Liban quelques jours avant le jugement, pour ne plus en repartir.
De quels secrets Takieddine, homme de l’ombre aux mensonges à répétition, connu pour avoir à plusieurs reprises monnayé son témoignage, était-il encore détenteur au moment de sa mort dans un hôpital à Beyrouth? C’est la question qui planera au-dessus de l’audience de jugement, ce jeudi à 10h au tribunal correctionnel de Paris.
Des valises de cash
Saura-t-on un jour, avec certitude si, au-delà des présomptions et des indices concordants, l’intermédiaire avait effectivement transporté cinq millions d’euros en espèces de la Libye vers la France, via des valises remises à Claude Guéant et Nicolas Sarkozy, entre 2006 et 2007? A-t-il laissé un mot pour s’expliquer sur ses rétractations successives et ses témoignages à géométrie variable?
«Ça fait 13 ans que je vis avec ça, 13 ans que j’ai sur les épaules le poids de cette infamie» avait asséné Nicolas Sarkozy, 70 ans, à la fin du procès des fonds libyens, en mars, alors qu’il portait à la cheville un bracelet électronique pour sa condamnation dans une autre affaire. «Je viens ici pour défendre mon honneur, je n’ai pas touché un seul centime d’argent illégal libyen ou autre».
Ziad Takieddine n’avait ni commenté, ni apporté de nouvelles informations. L’ancien banquier genevois Wahib Nacer, coaccusé et plaque tournante du système de financement libyen en Europe, avait fait de même. Les magistrats parisiens diront demain, en leur âme et conscience, s’il s’agit bien d’une des affaires de corruption les plus retentissantes de l’histoire de la République française.