C’est aujourd’hui que l’ancien président de la République française Nicolas Sarkozy entre en détention. Cette situation interpelle évidemment, et nombreux sont les politiques qui ont voulu y voir un excès, voire même une prise de pouvoir, de la magistrature, forcément de gauche, sur un personnage qui n’a jamais caché sa fatuité et sa condescendance, le tout enrobé dans un discours moralisateur à l’égard des incompétents présumés qui lui ont succédé, mais aussi de la classe politique tout entière.
J’avoue y avoir presque succombé, voyant à quel point la justice, notamment dans l’Hexagone, souvent en binôme avec certains médias, a tendance à s’adjuger un rôle de phare moral au milieu d’une nuit sociale et politique dans laquelle tous les coups sont permis.
Nicolas, souffre!
Qu’y a-t-il de plus jouissif pour un tribunal pénal, que de faire tomber un puissant de son piédestal, et signifier par là-même au bon peuple que la justice est égale pour tous? Pourtant chacun sait pertinemment que l’exemple est l’arbre qui cache la forêt, et que les lois sont souvent, comme le décrivait Balzac des toiles d’araignées à travers lesquelles passent les grosses mouches et où restent les petites.
Et s’il faut y mettre davantage de force pour que le message soit entendu, ce n’est que justice. Le ressenti du coup porté ne dépend-il pas de l’épaisseur de la carapace dont les riches et les puissants ont su se parer?
Alors Nicolas, souffre pour ceux que ton châtiment va dissuader de s’écarter du droit chemin! Et souffre également pour ceux que la chance ou le hasard ont tenus à l’écart du hachoir de la Justice!
Pas de verdict hasardeux
Cette première réaction quasi-pavlovienne à l’égard de ce jugement du 25 septembre dernier, confortée, il est vrai, par quelques constats professionnels, m’a toutefois incité à y regarder de plus près. Ce jugement de première instance, non définitif, et donc par définition provisoire, ne saurait être qualifié de superficiel ou de bâclé.
L’instruction fut longue et minutieuse, et les infractions retenues, décrites sur 380 pages, semblent laisser peu de marge à cette roue de secours que l’on nomme «intime conviction»; elle que l’on convoque à la barre davantage comme témoin de l’accusation que de la défense, lorsque le doute fait presque vaciller.
Reprocher ainsi aux juges de cette première instance d’avoir rendu un verdict politique de culpabilité, semble donc pour le moins hasardeux.
D’autres condamnations
Cela étant, s’il existe une Cour d’appel, puis une Cour de cassation, c’est bien qu’un législateur irrévérencieux a imaginé que les premiers juges puissent se tromper. Comment en est-on arrivé alors à renvoyer Nicolas Sarkozy en prison, moins d’un mois après le verdict, et alors qu’un appel est en cours, tant sur la culpabilité que sur la peine? C’est sur ce point que le raisonnement chancelle.
En effet, cette affaire du financement libyen de la campagne présidentielle de 2007, est intervenue par définition alors que Nicolas Sarkozy n’était pas président, et qu’il n’avait jamais occupé la justice. Depuis lors, il a certes été condamné le 17 mai 2023 par la Cour d’appel de Paris, sentence confirmée par la Cour de cassation le 18 novembre 2024, à 3 ans d’emprisonnement, dont 2 avec sursis pour corruption active de magistrat, peine définitive, exécutée par une détention à domicile avec bracelet électronique.
Il a également été condamné le 14 février 2024 par la Cour d’appel de Paris à 1 an de prison dont 6 mois avec sursis pour engagement de dépenses électorales dépassant le plafond légal, mais un pourvoi en cassation a été déposé, et cette peine n’est pas définitive.
«L’exceptionnelle gravité des faits»
Ainsi, en 2007, date déterminante pour juger tant de sa culpabilité que de la peine à prononcer, l’accusé Sarkozy, n’avait jamais occupé la justice. De surcroît, selon le tribunal, il ne s’était «jamais dérobé à la moindre convocation» et était présent à l’audience.
Malgré cela, en invoquant «l’exceptionnelle gravité des faits» un mandat de dépôt fut néanmoins décerné, le seul bénéfice obtenu par Nicolas Sarkozy fut alors de ne pas être embastillé sur-le-champ, mais d’obtenir l’effet différé de son emprisonnement. Cela lui a permis de faire sa valise et de prendre avec lui deux livres de chevet, «le conte de Monte Cristo» et «la biographie de Jésus». Peu probable qu’il s’évade comme le premier, et illusoire de lui prédire la sainteté du second.
Plus sérieusement, ce placement en détention du condamné Sarkozy, en fait un détenu provisoire, avec le bénéfice lié à sa présomption d’innocence. Certes, tant qu’à faire, autant purger sa peine dans ces conditions plutôt qu’en tant que condamné définitif, la durée de la détention provisoire étant déduite de la peine qui lui sera finalement infligée, pour autant qu’il ne soit pas acquitté évidemment, et que la peine finalement prononcée ne soit pas inférieure au temps de détention déjà purgé.
La liberté doit être la règle
Reste que la liberté doit être la règle et la détention l’exception. Et c’est sur ce point que la décision rendue laisse un goût amer, lorsque l’on veut bien dépasser une certaine «Schadenfreude», cette jouissance malsaine à voir autrui subir un juste châtiment. La justesse de ce dernier dépendant évidemment de critères propres à chacun, sans lien aucun avec la justice et le droit.
Cet arrêt fait payer au condamné provisoire Sarkozy, son image et ce qu’elle porte. L’argumentation est à cet égard remarquable, puisqu’il est question de «garantir l’effectivité de la peine au regard de l’importance du trouble exceptionnel à l’ordre public causé par l’infraction», et «assurer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus».
Franchissant le Rubicon de la séparation des pouvoirs, les juges s’arrogent le rôle de censeurs et de porteurs de vertu. Non pas que l’ancien président n’ait pas de leçons à recevoir dans ce domaine, mais un jugement pénal devrait savoir distinguer subtilement la loi et la morale, laissant au législateur le soin de construire la première sur ce que la société du moment sait exprimer de la seconde.
Jean de La Fontaine, empreint de la société de son temps nous donnait la morale de sa fable en écrivant que «selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir». Les juges de Paris nous assènent ici en guise d’avertissement leur inverse morale: «Si vous êtes puissant et non misérable, vous ne serez pas présumé innocent, mais coupable.»