Les agitateurs d’extrême-droite sont si sûrs d’eux qu’ils ne dissimulent plus leurs forfaits. Mieux: ils se filment en train de les commettre, ils les diffusent. Récemment, un influenceur franco-valaisan est venu tout spécialement à Vevey (VD) pour voler un drapeau palestinien. Un tiktokeur homophobe s’est illustré en dégradant un banc lausannois aux couleurs de l’arc-en-ciel. Et qui sait si nous ne découvrirons pas que la récente agression contre une élue socialiste à Yverdon n’était pas en fait l’exploit de quelque influenceur régional nostalgique des croisades ou des marches au flambeau?
Parodies des exploits héroïques de l'Antiquité, mais dans le registre de l’infime et de l’ignominieux, leurs auteurs sont chaleureusement salués par nombre d’internautes. Du moins par ceux qui se prennent si volontiers pour le corps du peuple tout entier, alors qu’ils n’en sont que le membre gangréné, oublient qu’ils se montrent d’ordinaire si pointilleux avec l’ordre public.
Conspiration gauchiste
Mais quand les auteurs d’infractions sont musclés et d’extrême-droite, quand les victimes sont de gauche ou issues des minorités, leur cœur s’emballe, leur amour de la propriété vacille, comme s’évapore leur passion maniaque de la loi, de la justice et de la police. Pour le dire clairement : la loi est une belle chose quand elle permet d’expulser des clandestins, d’amender des Roms et de gazer des militants antiracistes, mais quand elle nous empêche de commettre des attaques homophobes ou de vomir sur les Arabes, c’est une privation de notre liberté, un scandale et un complot.
À les croire, notre monde serait une conspiration gauchiste. Peu importe que l’extrême-droite progresse partout, peu importe que les plus grandes puissances mondiales s’alignent toutes sur les coordonnées du nationalisme, peu importe que les milliardaires fassent main basse sur les titres de presse et sur les maisons d’édition ou que l’UDC soit le premier parti de Suisse.
Réponse contre-productive
Peu importe le réel, seule compte sa symbolisation paranoïaque. Pour eux, comme l’écrivait Michaux, «la réalité n’est jamais qu’une distraction parmi d’autres», et probablement moins amusante que le délire. Aussi, la réponse pénale est-elle non seulement difficile, mais elle est probablement contre-productive. Puisqu’ils ne vivent que dans les fumées de l’idéal, la réponse ne peut être que symbolique.
Si nos symboles les rendent malades, multiplions-les. Pavoisons nos balcons de drapeaux palestiniens, en solidarité avec un peuple qui subit un génocide depuis deux ans. Exigeons que nos bancs et nos trottoirs soient peints aux couleurs de l’arc-en-ciel, en soutien à celles et ceux que l’on injurie, que l’on violente, et que parfois l’on tue. Demandons-le pour les victimes futures et pour les victimes passées. Et rappelons-nous ce mot de Walter Benjamin, martyr du fascisme: «Même les morts ne seront pas en sécurité si l’ennemi triomphe.»