Secret bancaire et espionnage
Nicolas Forissier, l'auditeur qui informait les espions français sur UBS

Dans un livre choc, l'ancien auditeur d'UBS France, en partie à l'origine du procès retentissant de la banque suisse à Paris, raconte tout ce qu'il n'avait jamais dit. La guerre fiscale contre le secret bancaire helvétique impliquait aussi... les services secrets !
Publié: 15.05.2022 à 11:08 heures
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Dernière mise à jour: 16.05.2022 à 17:22 heures
Nicolas Forissier, d'auditeur à lanceur d'alertes. Est passé par la case «espion».
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

Un «lanceur d’alerte» au milieu des services de renseignement, du grand banditisme et des règlements de comptes entre espions français et britanniques: voici ce que raconte Nicolas Forissier, l’ex auditeur d’UBS France, dans «L’ennemi intérieur», le livre qu’il vient de publier aux éditions Fayard sous la direction des fameux enquêteurs du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme.

Forissier, Davet et Lhomme: ces trois noms sont gravés dans le marbre de la descente aux enfers de la banque suisse devant la justice française, qui l’a de nouveau condamnée en appel le 13 décembre 2021 à un total de 1,8 milliard d’euros en amende, confiscation et dommages et intérêts pour «blanchiment aggravé de fraude fiscale» et» démarchage bancaire illégal en France entre 2004 et 2012.

Flot de dénonciations

Le premier, ex-responsable de l’audit licencié pour faute grave par UBS France en octobre 2009, a depuis lors alimenté sans relâche le flot de dénonciation des activités frauduleuses passées des banquiers suisses sur le sol français. Les deux autres ont, dans les colonnes du quotidien français, publié de nombreux articles sur les malversations fiscales d’UBS. Sans eux, les juges français Guillaume Daieff et Serge Tournaire n’auraient peut-être ouvert en 2012 une enquête sur UBS et UBS France, avant de mettre les deux entités en examen en 2014 et 2015.

La banque suisse avait été condamnée en première instance en France à 4,5 milliards d’euros d’amende (incluant les dommages et intérêts) en février 2019. Une peine considérablement réduite en appel deux ans plus tard mais que la banque, qui s’est pourvue en cassation dans la foulée du jugement en appel, continue de récuser.

Les fameux «carnets du lait»

Les accusations portées dans «L’ennemi intérieur» sur les pratiques illégales des banquiers suisses en France entre 2004 et 2012, venus offrir des comptes protégés par le secret bancaire helvétique pour échapper au fisc, ne sont pas nouvelles. Même si Nicolas Forissier n’a pas été cité comme témoin lors des deux procès, son argumentaire et les faits cités (les soirées offertes par UBS à une prestigieuse clientèle, les dissimulations des banquiers suisses opérant sur le territoire hexagonal, les soi-disant «carnets du lait» qui dissimulaient une fausse comptabilité…) a été largement repris par les procureurs. Les deux condamnations retentissantes d’UBS en France, que ses avocats continuent vigoureusement de contester car ils ne sont pas étayés par des preuves matérielles, ont pour l’heure clos ce dossier.

C’est un autre volet qui est porté au grand jour par le livre: l’implication directe des services secrets français, qui surveillaient de près UBS France depuis le début de ses opérations. Nicolas Forissier raconte comment, très vite après son embauche le 10 septembre 2001 (la veille des attentats de New York), il rencontre, via son père militaire, un «mentor» de la direction du renseignement militaire, alias «Nicefor».

Un capitaine de police du renseignement intérieur suivra ensuite ses faits et gestes. L’auditeur affirme même qu’il faillit, quelques années plus tard, être liquidé par un sniper des services britanniques car il avait débusqué, dans l’agence d’UBS à Cannes, les réseaux opaques de financement du MI6, par société de location de luxueux yachts interposées.

L’on retrouve aussi, dans le livre, le passage par UBS d’une partie des rétro-commissions sur des contrats d’exportations d’armes qui vaudront à l’homme d’affaires Pierre Falcone, au défunt ministre français de l’intérieur Charles Pasqua et à son fils Pierre-Philippe, d’être condamnés par la justice. «Ces dossiers-là, tu fermes. Ça, tu gardes pour nous permettre d’enquêter dessus. Ça, tu déclares à Tracfin (l'organisme français de lutte contre le blanchiment des capitaux)», commande à l’ex auditeur sa source des services de renseignement. Et de l’avertir: «Nicolas, tu attires l’attention. Tu as des dossiers que tu ne comprends pas. On est devant toi. Il faut que tu nous dises maintenant ce que tu sais, ce que tu as compris, parce que ça fait peur en haut lieu.»

James Bond ou OSS 117?

James Bond dans les couloirs d’UBS France? Ou bien OSS 117, comme l’écrit lui-même avec humour l’auteur, en référence aux facéties loufoques du maître espion français? Tout en racontant dans le menu détail les malversations des banquiers suisses, protégés par le siège zurichois de la banque, Nicolas Forissier s’interroge sur le rôle exact des services de renseignement: «Ma conviction est qu’il y avait deux camps au sein des services écrit-il: pendant que j’aidais l’un d’eux à dévoiler la fraude, un autre semblait tout faire pour l’étouffer».

Car être «lanceur d’alerte» veut d’abord dire être seul. «Seul contre la direction d’UBS poursuit-il. Et peut-être seul contre les services». Rappel, s’il en était besoin, que le secret bancaire helvétique – levé par le Conseil fédéral le 13 mars 2009 et abandonné dans les faits en 2017 – n’était pas combattu par tous au sommet de l’Etat Français.

«Les services français se sont retournés contre moi»

Aujourd’hui codirecteur d’une société de gestion d’actifs, Nicolas Forissier n’accuse pas seulement UBS. «Les services français se sont retournés contre moi au moment où j’engageais la bataille finale contre ce qui constitue le plus grand scandale financier de l’histoire judiciaire de la Ve République» affirme-t-il. Grave. Car cela implique une autre lecture des deux procès d’UBS. Y aurait-il encore des éléments cachés? Les magistrats français se sont-ils retrouvés confrontés, dans leurs investigations et leurs jugements, à la «raison d’Etat».

Les avocats d’UBS ne cessent depuis le début de dénoncer des trous béants de la procédure. Les condamnations leur ont donné tort. UBS et UBS France ont été deux fois reconnues coupables. Mais y a-t-il, derrière l’histoire officielle, encore d’autres affaires d'espionnage cachées, impliquant des banques suisses ?

A lire: «L’ennemi intérieur» de Nicolas Forissier avec Raphaël Ruffier-Fossoul (Fayard)

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