Percée scientifique sur les effets du Botox
«Il y a plus de cinquante pathologies pour lesquelles notre recherche pourrait être utile»

Richard Kammerer, professeur de biochimie, a réalisé avec son équipe une percée dans la recherche sur le Botox. Il a trouvé une protéine qui accélère fortement ses effets. Il explique pourquoi cela pourrait être une bénédiction pour beaucoup de patients. Interview.
Publié: 25.12.2023 à 21:55 heures
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Richard Kammerer est professeur de biochimie et fait de la recherche à l'Institut Paul Scherrer, qui est rattaché au domaine des EPF.
Photo: Zvg
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Silvia Tschui

Monsieur Kammerer, pourquoi votre percée scientifique est-elle si importante à tel point que tous les grands médias nationaux, mais aussi étrangers, en parlent?
Parce que notre recherche fondamentale sur la neurotoxine botulique variante A1, également connue sous le nom de Botox, pourrait s'adapter, à l'avenir, à très nombreuses applications médicales, notamment dans le domaine du traitement des douleurs chroniques. Il y a plus de cinquante pathologies pour lesquelles notre recherche pourrait être utile. Et il y en a de nouvelles chaque jour.

Dites-moi donc laquelle...
Aujourd'hui déjà, la toxine botulique, ou Botox, est utilisée dans le traitement de la douleur, ou pour réduire la transpiration excessive. Mais il faut jusqu'à sept jours pour qu'elle agisse après une injection. Si l'on est en proie à des douleurs insupportables, par exemple en raison de fortes migraines ou de traumatismes cervicaux, il est extrêmement bénéfique de pouvoir réduire ce délai à moins d'un jour. D'autres effets pourraient être la suppression de la croissance tumorale ou la prévention des crampes spasmodiques.

Qu'est-ce que cette toxine botulique exactement?
Vous la connaissez dans l'industrie de la beauté sous le nom de Botox. Utilisée de manière ciblée, cette neurotoxine extrêmement puissante peut paralyser certains muscles, ce que l'industrie de la beauté utilise pour réduire les rides. Des bactéries appelées Clostridium botulinum produisent cette substance au cours de leur métabolisme, qui se déroule sans oxygène, c'est-à-dire en anaérobie. On trouve ces bactéries dans le sol, c'est pourquoi les aliments peuvent également être contaminés. La substance qu'elles produisent, la toxine botulique, est très toxique pour les hommes et les mammifères et entraîne des symptômes de paralysie et, en l'absence de traitement, la mort. En Suisse, on recense chaque année un à deux cas de botulisme, presque toujours dus à des aliments mal conservés dans lesquels les bactéries ont pu se multiplier en l'absence d'oxygène. Au niveau international, il existe un grand champ de recherche consacré à la recherche de nouveaux antidotes.

Mais vous ne l'avez pas trouvé, n'est-ce pas?
Non, plutôt le contraire, et ce, par hasard. Nous avons fabriqué une protéine, appelée DARPin (Designed Ankyrin Repeat Protein), qui devrait agir comme un anticorps contre le poison. Dans l'éprouvette, ce que nous attendions s'est produit: la protéine a complètement bloqué l'activité de la toxine botulique. Mais il en a été autrement dans les cellules nerveuses réelles et dans le tissu musculaire. L'effet du Botox, combiné à notre DARPin, s'est même accéléré dans les cellules nerveuses. Au lieu d'un antidote, nous avons donc en quelque sorte trouvé un amplificateur.

Comment vous êtes-vous retrouvés dans la recherche sur le Botox?
Dans le cadre d'une collaboration industrielle avec un grand acteur pharmaceutique, mon équipe de recherche et moi-même avons pu montrer comment le Botox se lie aux cellules nerveuses. Nos résultats, obtenus il y a très exactement dix ans, ont été un énorme succès et ont été publiés dans la célèbre revue spécialisée «Nature». Nous avions alors abordé ce projet de manière presque naïve. Nous avons appris après coup que de très nombreux laboratoires de pointe, parfois très connus, avaient mené des recherches sur le même sujet. Si nous l'avions su, nous n'aurions peut-être jamais lancé ce projet. Nous avons ensuite été invités à une grande conférence, le Toxins-Meeting à Lisbonne, où j'ai pu faire l'exposé principal. Le sujet m'a tellement enthousiasmé que j'ai décidé de poursuivre mes recherches dans ce domaine.

Avez-vous déjà eu des résultats étonnants – un Lucky Break – comme celui-ci dans votre carrière?
Nous avons tout le temps des résultats inattendus, c'est la beauté de la science. On fait une hypothèse, on essaie de la prouver et on obtient, peut-être, un résultat qui contredit complètement l'hypothèse. L'hypothèse était alors fausse et il faut plus d'informations pour faire une hypothèse révisée – que l'on essaie à nouveau de prouver. C'est ainsi que fonctionnent l'acquisition de connaissances, la recherche et, en fin de compte, la science elle-même, une révision constante de ce que l'on croit savoir. C'est cela la recherche. Mais je n'ai encore jamais eu de Lucky Break comme celui-ci!

Combien de temps faudra-t-il encore, selon vous, pour que les premières applications se fassent sur des patients?
Même dans le meilleur des cas, cela prendra malheureusement encore des années. Si l'industrie est intéressée, il faudra mener de nombreuses études pour déterminer si la combinaison DARPin/Botox agit comme prévu chez l'homme. Enfin, il faut encore obtenir l'autorisation des autorités, ce qui est également un long processus.

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