Walter Gerzner était encore un petit enfant lorsqu'il est arrivé à l'orphelinat d'Einsiedeln (SZ) en 1950 avec ses six frères et sœurs. L'orphelinat était alors dirigé par des sœurs de l'abbaye d'Ingenbohl. Mais il était aussi étroitement lié à l'abbaye d'Einsiedeln. Les moines y enseignaient la religion et prêchaient le dimanche dans l'église locale des jeunes. Quant aux enfants, ils étaient enfants de chœur. Walter Gerzner aussi.
Ce qui a été fatal au garçon, c'est qu'il n'arrivait pas à se taire lors des cours du père A. Il avait alors environ huit ans, Walter Gerzner ne peut plus reconstituer le moment exact. «Parce que j'ai osé contredire le père, il a dit que je lui désobéissais.»
«Il a jeté son habit sur moi»
Le père A. a convoqué le garçon chez lui, au couvent, l'après-midi où il n'avait pas cours. «Dans sa chambre, j'ai dû me déshabiller et m'agenouiller devant lui. Il a jeté sa robe noire sur moi et a mis ma tête entre ses jambes. Je ne savais pas où mettre mes mains, il me forçait à serrer ses jambes. C'était horrible.» Walter Gerzner n'a parlé de cet incident à personne pendant de longues années. Ni aux religieuses de l'orphelinat ni, plus tard, à son entourage. «De toute façon, personne ne m'aurait cru.»
Ce n'est qu'aujourd'hui qu'il a trouvé la force d'écrire à l'abbé actuel du monastère d'Einsiedeln Urban Federer, plus de 60 ans après son agression. Il veut savoir ce qu'est devenu son tortionnaire, s'il y a eu d'autres victimes parmi les orphelins et si le couvent était au courant des agressions. Car Walter Gerzner se souvient que d'autres enfants devaient aussi aller dans la chambre du père A.
L'abbé inactif
Les abus sexuels dans l'environnement de l'abbaye d'Einsiedeln étaient déjà un sujet de discussion dans les années 2010. A l'époque, l'abbaye avait mis en place une commission externe qui était parvenue en 2011 à une conclusion choquante: depuis les années 1950, 15 moines s'étaient rendus coupables d'abus sexuels, on parlait d'au moins 40 victimes. Le rapport final a été mis sous scellés jusqu'à aujourd'hui. Le cas de Walter Gerzner n'a pas été documenté à l'époque, car il n'était pas du tout au courant de l'enquête.
L'abbé témoigne de sa sympathie à Walter Gerzner, mais explique qu'aucun père portant ce nom a été mentionné dans le rapport d'enquête de 2011. Il le renvoie à un psychologue et au service d'aide aux victimes. Dans une deuxième lettre, l'abbé lui écrit: «Comme je n'ai plus rien lu de vous, je pars du principe que je ne dois rien entreprendre pour le moment.»
La réaction de l'abbé d'Einsiedeln plonge Walter Gerzner dans une crise. Il n'a pas l'énergie d'écrire à nouveau à l'abbé. Pendant des mois, il est comme paralysé. Il ne veut pas contacter un centre d'accueil et «je n'ai pas besoin d'un psychologue». Il ne parvient pas à se défaire du soupçon que l'abbaye ne le croit pas.
L'abbé ignore l'obligation de signaler
Pendant près d'un an, rien ne se passe. Ce n'est que lorsque le «Beobachter» intervient que les choses commencent à bouger. Interrogé, l'abbé souligne qu'il partait du principe qu'un spécialiste déterminerait les prochaines étapes avec la personne concernée. Il ne se considère pas comme responsable. Pour éviter «le moindre soupçon» de ne pas prendre au sérieux ou de vouloir étouffer l'affaire, une victime doit s'adresser à un centre d'accueil indépendant.
L'abbé Urban Federer ignore ainsi l'obligation d'enquête et de signalement prévue par le droit ecclésiastique en cas de soupçon d'abus sexuels sur mineurs par un membre du clergé. Urban Federer va encore plus loin: «Pour une enquête préliminaire, j'attends qu'une autorité d'enquête soit intervenue.»
Une déclaration bien étrange… Car dans le cas d'un délit potentiel qui s'est produit il y a plus de 60 ans, les autorités d'instruction pénale n'ouvrent de toute façon plus d'enquête. De plus, Walter Gerzner n'envisage pas de déposer une plainte pénale. Il ne veut pas exposer à nouveau sa douloureuse histoire. Pour lui, une réparation financière n'est pas non plus une priorité pour le moment. Il veut seulement savoir ce qu'il est advenu du père et s'il a éventuellement dû rendre des comptes pour ses actes.
La recherche du Père
L'abbé Urban Federer fait savoir au «Beobachter» qu'il n'est pas clair dans le récit de quel père il s'agissait. Un père portant ce nom serait décédé au milieu des années 1950. Un autre portant le même nom n'aurait résidé au couvent que «quelques années plus tard».
L'enquête du «Beobachter» montre toutefois que le père en question était à Einsiedeln jusqu'à la fin des années 1960. Il n'était pas non plus un inconnu: quatre anciens pensionnaires de l'orphelinat d'Einsiedeln confirment se souvenir de lui.
Il est toujours vivant et vit à Einsiedeln
Annemarie Iten, qui a publié un livre sur ses expériences dans l'orphelinat, raconte: «J'étais au début des années 1960 dans le premier cycle, je me souviens très bien de ce père.» Le dimanche, il aurait prêché dans l'église des jeunes, et il aurait également fondé un centre de rencontre pour les jeunes. Plus tard, le père A. aurait été muté et aurait exercé son ministère ailleurs.
Le «Beobachter» continue ses recherches et découvre que le père A. est toujours vivant. Et pire encore, il est encore au couvent d'Einsiedeln… dirigé par l'abbé Urban Federer. Et celui-ci ne sait soi-disant pas de quel père il s'agissait.
L'abbé fait un rapport à Rome
Confronté à ces faits, l'abbé Urban Federer affirme soudain qu'il a déjà fait un rapport à Rome et qu'il peut maintenant le «formuler plus concrètement et entreprendre d'autres démarches.» L'abbé ne précise toutefois pas ce qu'il a réellement fait. On ne sait pas ce que l'auteur présumé répond aux accusations. On ne sait pas non plus s'il est au courant de la demande du «Beobachter» déposée auprès de l'abbé.
Urban Federer se contente de dire qu'il ne peut pas «répondre à la demande de prendre position» et qu'il ne fera pas de déclaration publique à ce sujet. La présomption d'innocence oblige.