Un anniversaire sous tension
Au Kenya, contestations et déploiement policier massif

Les rues de Nairobi sont vides ce lundi, alors que le Kenya commémore le soulèvement du 7 juillet 1990. Cette journée Saba Saba coïncide avec une vague de contestation contre le gouvernement de William Ruto, marquée par des tensions et des manifestations.
Publié: 15:11 heures
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Les rues de la capitale kenyane ont été vidées en prévision d'une manifestation antigouvernementale.
Photo: Brian Inganga
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ATS Agence télégraphique suisse

Les rues étaient vides et la tension élevée lundi à Nairobi, capitale d'habitude dynamique du Kenya. Les principales voies d'accès ont été coupées en amont d'une nouvelle journée de manifestations antigouvernementales. La Journée Saba Saba («sept, sept» en swahili, pour 7 juillet) commémore chaque année le soulèvement du 7 juillet 1990, lorsque les Kényans ont manifesté pour l'instauration du multipartisme, au coeur des années sombres du régime autocratique de Daniel arap Moi.

Cette année, cet hommage se conjugue à la vague de contestation qui secoue depuis un an le pays contre les taxes, la corruption, les disparitions forcées et les brutalités policières sous la présidence de William Ruto. Lundi à la mi-journée, les manifestants semblaient peu nombreux dans les rues désertées du centre-ville, haut-lieu des rassemblements ces derniers mois. Des journalistes de l'AFP ont vu un groupe de policiers tirer des gaz lacrymogènes face à une cinquantaine de jeunes hommes, dont certains leur jetaient des pierres.

Plus tôt dans la matinée, sous une fine bruine, seuls quelques passants, boda-boda (motos-taxis) et policiers étaient visibles dans ce hub de l'économie et du pouvoir politique. «Je n'ai jamais vu le centre-ville comme ça», a déclaré à l'AFP Edmond Khayimba, un agent de sécurité de 29 ans.

Hanifa Adan, une des figures de ce mouvement décentralisé, a rallié sur X le fait qu'il pleuve sur la police «tandis que nous restons au chaud à la maison». Les télévisions locales montraient des rassemblements limités en périphérie de la capitale et dans quelques villes du pays, la police y ayant parfois déployé des canons à eau.

Des manifestations qui dégénèrent

Les dernières manifestations du 25 juin, au départ pacifiques, ont tourné à la violence, des jeunes affrontant à coups de jets de pierres la police, qui a répliqué par de grandes quantités de gaz lacrymogènes et de grenades assourdissantes.

Dix-neuf personnes ont été tuées et 500 autres arrêtées, l'exécutif affirmant avoir «déjoué un coup d'Etat», tandis que les manifestants accusent les autorités de payer des vandales armés pour discréditer leur mouvement. Le 25 juin devait rendre hommage aux dizaines de victimes du vaste mouvement citoyen de 2024, qui avait culminé avec, le même jour, une brève prise du Parlement par les manifestants.

Ces jeunes de la «Generation Z», pour beaucoup urbains, éduqués et connectés, réclamaient le retrait d'une loi budgétaire controversée ainsi que le départ du président Ruto, élu en 2022 sur la promesse de défendre les plus démunis après des années de difficultés économiques. «Le gouvernement devrait être responsable. Les jeunes manifestent pour beaucoup de choses comme l'accès à la santé», affirme lundi Rogers Onsomu, un boda-boda de 32 ans venu pour travailler. «Ce que (Ruto) a promis au pays, il ne le délivre pas. Ce slogan de 'Ruto doit partir' nous ne le lâcherons pas, nous le ferons vivre chaque jour», ajoute-t-il cependant.

Les violences policières entachent l'image du Kenya, pays d'Afrique de l'Est d'environ 55 millions d'habitants, considéré comme l'un des rares Etats stables et démocratiques dans une région troublée. Les organisations de défense des droits humains, notamment Human Rights Watch (HRW) et Amnesty, ont critiqué la réponse des autorités, tandis que les Nations unies ont déploré les violences, appelant au calme et à l'ouverture d'enquêtes «indépendantes et transparentes».

Dimanche, un gang armé a attaqué le siège de la Commission kényane des droits humains, où se tenait une conférence de presse appelant à la fin des brutalités policières. Pour l'analyste Gabrielle Lynch, spécialiste de l'Afrique à l'université britannique de Warwick, la réponse étatique rappelle celle de l'époque de Saba Saba. Le pouvoir avait alors arrêté plus de 1000 personnes, détenues pour certaines pendant deux ans, selon Amnesty International. «Mais nous ne sommes plus dans les années 1990», pointe Mme Lynch. «Ils ne semblent pas avoir compris que le monde avait changé».

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