Voilà un spectacle que nous ne sommes pas prêts d'oublier. Dmitri Medvedev, bras droit de Vladimir Poutine et vice-chef du Conseil de sécurité russe, s'est retrouvé sur le devant d'une scène très particulière à Moscou.
Lors d'un événement très médiatisé, intitulé «Notre monde dangereux: qui est à blâmer et que faire?», il a comparé Donald Trump et Volodimir Zelensky à des poupées de chiffon de la série pour enfants «The Muppets». Quelles sont les intentions du Kremlin derrière cette moquerie? Retour sur cet évènement surréaliste.
Les marionnettes pour l'humiliation
Dmitri Medvedev donne rapidement le ton de son spectacle lorsqu'il déclare que la Suède et la Finlande – dernière arrivées au sein de l'OTAN – sont des «cibles légitimes» des représailles russes. D'après lui, les deux pays se sont placés dans le «collimateur» russe depuis leur adhésion. Pire encore: il envisage l'utilisation d'armes nucléaires pour «rétablir l'équilibre en Europe».
Ulrich Schmid, expert russe de l'Université de Saint-Gall, décrypte ce scénario absurde à base de marionnettes pour enfants. Pour lui, ce n'est pas une mise en scène fortuite. «Avec cette représentation, les showmasters russes suggèrent que les conversations entre Trump et Zelensky – comme la dernière au Vatican – ne sont qu'une comédie de l'industrie du divertissement américaine et qu'elles ne doivent pas être prises au sérieux.»
Retour sur scène. Pendant que Dmitri Medvedev profère ses menaces nucléaires contre la Suède et la Finlande, d'autres caricatures défilent derrière lui sur l'écran. Le public voit défiler Zelensky déguisé en Napoléon, le maire de Kiev Klitschko en piètre boxeur, ou encore le chef de l'armée ukrainienne dans une pose clownesque. Objectif: ridiculiser et humilier l'adversaire.
Rien d'étonnant pour Ulrich Schmid. «Il s'agit ici de ridiculiser les dirigeants ukrainiens et de montrer que le vrai pouvoir et la vraie culture se trouvent en Russie», explique-t-il.
Ces moqueries font aussi partie d'une vieille stratégie du Kremlin: «Le mélange de la propagande et du divertissement de masse est une vieille recette, déjà utilisée dans les années 2000 par l'idéologue en chef de Poutine, Vladislav Surkov. Il recrutait des groupes de rock, organisait des shows de motards et encourageait les blockbusters patriotiques au cinéma.»
Bon flic, mauvais flic
Le show de Medvedev a rapidement gagné en viralité et aussitôt, l'agence de presse russe Tass a tenté de minimiser les propos tenus. «Accuser la Russie de vouloir attaquer l'Europe est une absurdité absolue et illogique», a déclaré le marionnettiste.
Etonnament, Poutine a déclaré que ce spectacle était une tentative des dirigeants européens de «semer la peur dans le cœur de leurs peuples» afin de les maintenir dans une nervosité permanente. Comment expliquer ce retournement de veste?
Là encore, Ulrich Schmid a la réponse: «Le rôle de Medvedev est de défendre des positions extrêmes et absurdes sur un ton bruyant. Son job est d'attirer l'attention et faire ainsi passer Poutine pour un modéré», explique-t-il. «Le démenti rapide de Tass fait partie de cette stratégie.» Medvedev et Poutine forment ainsi un duo des plus efficaces: le premier crée la polémique tandis le second peut se comporter en homme d'Etat en corrigeant le tir.
«Medvedev pratique le réarmement culturel»
Mais pourquoi le Kremlin utilise-t-il ce spectacle de marionnettes maintenant? La réponse est simple: la Russie a besoin de toute urgence d'une histoire qui embellisse son rôle dans la guerre. «La priorité actuelle du Kremlin est de revoir à la baisse les exigences occidentales d'un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel. Ainsi, la Russie ne sera pas vue comme responsable si le conflit se poursuit», explique Ulrich Schmid.
A cette fin, Dmitri Medvedev est très utile au Kremlin. Son intention est claire: «Il faut avant tout persuader le public du bien-fondé de la guerre et d'une victoire imminente», poursuit Ulrich Schmid. «Medvedev pratique le réarmement culturel.»
Les marionnettes de Medvedev montrent combien il est facile pour le Kremlin de mélanger la menace nucléaire, le slapstick et la culture internet des mèmes: le rire minimise la violence des propos. S'indigner de ce spectacle, c'est être susceptible ou manquer d'humour.
Cette zone grise est le nouveau champ de bataille de la Russie. Voilà comment l'Europe se retrouve une fois de plus prise en étau entre sourire et frisson, tandis qu'à Moscou, les marionnettistes planifient déjà le prochain acte.