Si la Russie fait peur à beaucoup, en particulier aux personnes LGBTQIA+, elle séduit paradoxalement certains Occidentaux en quête de «valeurs traditionnelles et conservatrices». Pour eux, le pays de Vladimir Poutine incarne une alternative au prétendu «déclin moral et social de l’Occident». Alors pour eux, la Russie a une solution toute trouvée: un visa «anti-woke» leur permettant de déménager dans le pays, précise le «Washington Post» ce dimanche 6 juillet.
La députée russe Maria Butina, figure controversée, résume cette vision sans détour: «Les LGBT et les migrants sont les deux principales raisons pour lesquelles les gens quittent l’Occident.» Une affirmation quelque peu ironique, quand on sait que ces nouveaux arrivants sont eux-mêmes… des migrants en Russie. Une critique balayée d'un revers de main: eux sont des «migrants moraux».
Ainsi, ces «migrants moraux», souvent motivés par leur rejet du progressisme, espèrent trouver en Russie un refuge conservateur. Mais une fois sur place, la réalité est bien plus complexe. Nombre d’entre eux se heurtent à des obstacles juridiques, bureaucratiques et financiers.
Une mission humanitaire
En août 2014, Vladimir Poutine signe un décret instituant le visa dit «des valeurs partagées», surnommé officieusement visa «anti-woke». Il offre un droit de séjour à des ressortissants de 47 pays, dont les Etats-Unis, le Royaume-Uni et les Etats membres de l’UE, à condition qu’ils partagent les «valeurs spirituelles et morales traditionnelles russes».
Ce visa donne accès à un permis de séjour de trois ans, avec des démarches allégées pouvant mener à la citoyenneté. Depuis début 2025, 700 personnes en ont bénéficié. Une centaine d'autres sont arrivées via des visas étudiants, de travail ou en tant que partenaires de citoyens russes.
Difficultés et désillusions
Mais le départ vers le «havre de paix» russe, ne se passe pas toujours aussi bien que prévu. La famille australienne Hares, par exemple, a perdu 50'000 dollars à cause d’une escroquerie lors de son déménagement… sans que la police lève le petit doigt. De leur côté, les Feenstra, un couple canadien et leurs neuf enfants, ont vu leurs comptes bancaires gelés pour «activité suspecte». L'épouse Anneesa, avait posté une vidéo Youtube, depuis supprimée, avouant être «prête à sauter dans un avion et à filer d'ici».
La famille réalisera ensuite une vidéo d'excuse intitulée «Nous sommes désolés et nous ferons mieux». Ils expriment leur regret d'avoir exprimé leur frustration, qui ne provenait non pas «du gouvernement, des banques et des lois», mais de la barrière de la langue. La famille ne dira pas si elle a subi des pressions du Kremlin. Mais une chose est sûre, en Russie, la liberté d'expression n'a pas les mêmes contours qu'au Canada.
«C'est assez difficile», mais…
Mais Maria Butina, condamnée aux Etats-Unis et désormais promotrice de ce fameux visa «d'asile spirituel», assure que la Russie ne recrute pas activement des Occidentaux. «L'Etat russe considère cela comme une mission humanitaire. Notre mission n'est pas d'attirer des gens. Soyons honnêtes, c'est assez difficile», martèle-t-elle.
Mais une enquête du média indépendant Important Stories révèle que la chaîne Russia Today (RT), sanctionnée par les Etats-Unis et l'Union européenne, finance activement des blogueurs pour vanter la vie en Russie. Leurs vidéos mettent en scène des expatriés enthousiastes, dans une stratégie bien rodée pour redorer l’image du pays isolé sur la scène internationale.
Un traitement à deux vitesses
Alors que le Kremlin dément aller à la pêche aux Occidentaux déçus, ceux-ci ont tout de même droit à un accueil aux petits oignons. Le gouvernement les aide à trouver un logement, un emploi, à «s'adapter» à la culture, à trouver des places pour leurs enfants dans des écoles. Ils peuvent également prétendre à une pension de retraite, à des allocations familiales et un accès à la couverture de santé universelle.
Alors que les «migrants moraux» ont droit à un accueil VIP, des millions de migrants venus d’Asie centrale vivent une tout autre réalité. Conditions de travail pénibles, salaires dérisoires, accès limité aux soins, à l’école ou au logement: ils sont les grands oubliés du système russe. Pour eux, obtenir la nationalité relève du parcours du combattant, voire impossible.
Poutine, promoteur de la famille traditionnelle
Vladimir Poutine promeut depuis longtemps «la famille», face à l'Occident taxé de «décadent», voire «sataniste». Depuis 2013, une loi russe interdit la «propagande» de «relations sexuelles non traditionnelles» à l’adresse des mineurs. Sous couvert de protéger les enfants, cette loi criminalise toute visibilité LGBTQIA+ dans l'espace public.
En 2022, cette législation a été élargie à l’ensemble de la société, censurant tout contenu LGBTQIA+ dans les médias, les films, les livres et sur Internet. En 2023, de nouvelles lois ont interdit aux personnes transgenres les opérations et les traitements hormonaux. Une répression assumée, au nom de la protection de la famille «traditionnelle».
La Russie se présente comme un refuge pour ceux qui rejettent le progressisme. Mais ce «havre de paix» se construit au prix d’une guerre idéologique excluant les minorités. Une paix à deux vitesses, où le conservatisme est roi, et la diversité muselée.