Son nouvel album cartonne
Rosalía, la dynamiteuse espagnole de la musique

La chanteuse catalane revient avec un quatrième album brillant, intello et révolutionnaire à la fois, à l’image de cette artiste hors norme. Qui ne cesse de transgresser toutes les règles de la musique.
Publié: 08:12 heures
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Dernière mise à jour: 08:27 heures
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Rosalía a sorti son nouvel album «Lux» le 7 novembre.
Photo: GC Images
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Margaux BaralonJournaliste Blick

Le soir du lundi 20 octobre, la ville de Madrid fut le théâtre d’une apparition christique. La rumeur allait bon train sur TikTok depuis quelques heures: il fallait se rendre sur la place de Callao, vaste espace cerné de hauts immeubles, sorte de Times Square version espagnole, pour avoir la chance de l’apercevoir.

Elle est arrivée en voiture, vêtue comme d’une robe blanche aux allures saintes, mais cigarette aux lèvres et chaussures rouges aux pieds, comme pour rappeler qu’avec elle, rien n’est jamais tout à fait sacré. Elle, c’est Rosalía, 33 ans, chanteuse qui fait danser le monde entier depuis trois ans avec (entre autres) son tube Despechá.

«Lux», le nouvel album

Prise de court par un compte à rebours lancé un peu trop tôt, puis par les embouteillages monstrueux engendrés par son happening, la jeune femme a terminé à pieds et en courant, poursuivie par des hordes de fans en délire. Elle est arrivée à son hôtel juste à temps pour l’annonce, sur les écrans géants, de la grande nouvelle. Le lancement de son nouvel album le 7 novembre.

Rosalía arrive sur la place Callao à Madrid, le 20 octobre 2025, lors d'une apparition surprise pour présenter «Lux».
Photo: keystone-sda.ch

Orné d’une pochette sur laquelle elle apparaît telle une nonne, «Lux», son quatrième opus, teasé grâce à la sortie de l’un des titres, «Berghain», est d’ores et déjà l’un des plus gros succès musicaux de l’année. Surtout, il est à l’image de cette artiste qui ne ressemble à aucune autre: à la fois hyper référencé et sans limite, nourri d’airs classiques, voire traditionnels, et résolument révolutionnaire.

Un album délirant aux allures d’opéra

Qui, aujourd’hui, aurait pu ainsi se lancer dans dix-huit morceaux, répartis en quatre mouvements opératiques et chantés en treize langues différentes, accompagnés pour la plupart par l’Orchestre symphonique de Londres? Quelle autre icône de la pop aurait osé s’aventurer sans peur du côté de la musique lyrique, du fado portugais et du jazz dans un seul album? Aucune. «C’est peut-être la meilleure interprète du monde», dit d’elle Billie Eilish à «Variety» après leur collaboration sur le titre «Lo Vas A Olvidar», sorti en 2021, et destiné à la bande-originale de la série «Euphoria».

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Avec «Lux», d’ailleurs, Rosalía multiplie les collaborations, de l’islandaise Björk à la chanteuse Carminho, reine du fado, cette musique portugaise très mélancolique, en passant par Patti Smith, qui lui a donné le droit d’utiliser un extrait de l’une de ses interviews. Mais surtout, elle s’autorise tous les pas de côté.

En témoigne «Berghain», morceau dont le titre est un clin d'œil au célèbre club berlinois mais qui fait des emprunts évidents aux «Quatre saisons» de Vivaldi, tout en conservant des sonorités quasi futuristes. Visionné près de 19 millions de fois à l’heure où sont écrites ces lignes, le clip mêle références bibliques, cinématographiques et culturelles diverses, faisant la joie depuis sa sortie le 27 octobre des internautes friands de recherches et de comparaisons.

Du flamenco au reggaeton

C’est loin d’être la première fois que Rosalía dynamite les genres. En réalité, la trentenaire en a même fait sa marque de fabrique. Celle qui est née en 1992 à Sant Cugat del Vallès, en Catalogne, assoit toutes ses compositions sur de solides bases théoriques. Étudiante au Taller de Músics, elle entre ensuite dans la très sélective classe de flamenco de l’Ecole supérieure de musique de Catalogne, qui n’admet qu’un nouvel élève par an.

La nouvelle pochette de son album «Lux».
Photo: keystone-sda.ch

Elle en sort diplômée en 2017, avec sous le bras son premier album, «Los Ángeles», largement inspiré par ces airs traditionnels. Par la suite, elle s’attaque au reggaeton avec plusieurs collaborations, comme la chanson «TKN» avec le rappeur Travis Scott, mais surtout son troisième album, «Motomami», sorti en 2022.

Chaque fois, son talent force l’admiration. Venu écouter l’un de ses tous premiers concerts, alors qu’elle est encore étudiante, le réalisateur espagnol Pedro Almodovar s’en souvient comme si c’était hier dans les colonnes du «Monde». «Sa maîtrise m’a impressionné, surtout au vu de son jeune âge. Elle possède une voix extraordinaire.» Qu’elle utilise d’ailleurs a capella et sans playback sur le plateau du tournage de son film «Douleur et gloire», dans le petit rôle d’une lavandière. Le cinéaste n’est pas le seul à être tombé sous le charme. Dès 2019, Madonna en personne tente de faire venir chanter Rosalía pour son 60e anniversaire. En vain. La chanteuse a déjà trop à faire.

Appropriation culturelle

D’autres se montrent moins enthousiastes. En reprenant le flamenco, la Catalane blanche n’a pas échappé aux accusations d’appropriation culturelle, notamment de la part de la communauté rom. Ni aux réflexions des puristes, qui lui reprochent de ne pas respecter les canons du genre. «J’avais étudié et je savais comment je voulais que cela sonne, et ce que je voulais dire», répond-elle en 2019 dans le magazine américain «W». «Dieu te montre un chemin, et il faut le suivre. Tu dois travailler et montrer du respect, mais tu ne peux pas non plus ignorer ta destinée.»

«
Ma musique, c’est de la pop. Juste une autre façon de faire de la pop
Rosalía
»

Même chose avec «Lux» et les spécialistes de musique classique. Pour Hugh Morris, critique musical au «Guardian», «Berghain» est le symbole du «nouveau kitsch musical». Et on imagine bien Rosalía lui répondre qu’encore une fois, elle n’a fait que suivre sa destinée. Dans une longue interview au «Popcast», un podcast dédié à la musique pop développé par le «New York Times», elle assume d’être «une rebelle en général».

Et répond aux accusations d’appropriation culturelle. «Je pense qu’il s’agit plus d’une appartenance au monde. C’est comme ça que je me sens, j’aime voyager, apprendre d’autres humains. Pourquoi est-ce que je n’essaierais pas d’apprendre un autre langage, de chanter dans une autre langue et d’étendre ma façon d’être une chanteuse, une musicienne ou une artiste?» Par ailleurs, l’Espagnole n’a pas la prétention d’avoir écrit un opéra, au contraire. «Ma musique, c’est de la pop. Juste une autre façon de faire de la pop.»

Intello et exigeante

Et dans le monde de la pop, Rosalía appartient au cercle fermé des artistes qui déplacent des foules immenses. En avril 2023, 160 000 personnes sont venues la voir chanter sur la place de Zócalo, la plus grosse de Mexico. Quelques mois plus tard, celles et ceux qui ont pu la voir au festival Paléo s’en souviennent encore: elle a balayé la plaine de l’Asse en moins d’une heure.

À ses débuts, les médias américains l’ont surnommée la «Rihanna du flamenco». Et force est de constater que la Catalane se hisse aujourd’hui à la hauteur d’une Beyoncé ou d’une Taylor Swift. Avec une marque de fabrique qui se renforce encore un peu plus grâce à «Lux»: une certaine intellectualisation de son art.

«
Plus on est dans l’ère de la dopamine, plus je veux faire l’inverse
Rosalía
»

Pour ce nouvel album, Rosalía a lu. Beaucoup. La philosophe française Simone Weil, l’autrice brésilienne Clarice Lispector, mais aussi les histoires de toute une tripotée de saintes, de Jeanne d’Arc à Olga de Kiev, en passant par Rosalie de Palerme, raconte-t-elle au «Monde». Écrire les paroles de ses chansons en Allemand, Mandarin, Ukrainien ou encore Sicilien lui a pris une année entière, avec l’aide de… Google Traduction. Elle les a ensuite fait vérifier par plein de gens, comme l’actrice Charlotte Gainsbourg ou le groupe d’électro Justice pour le Français. Les seconds lui ont d’ailleurs fait réenregistrer la chanson «Sauvignon Blanc». Au départ, Rosalía prononçait le «c» final de «blanc».

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Auprès du «New York Times», la chanteuse assume proposer une musique exigeante qui nécessite l’engagement de son public. «Plus on est dans l’ère de la dopamine, plus je veux faire l’inverse. Parfois, je fais l’exercice de tout éteindre et de regarder un film dans ma chambre, dans le noir. C’est super difficile. Mais c’est comme ça, il y a ce désir de produire quelque chose qui va vous forcer à être concentré pour, je l’espère, une heure. Et vous ne ferez que ça. Je sais que je demande beaucoup. Mais c’est ce que je veux.» À voir le nombre d’articles et de vidéos sur TikTok qui s’attachent à décrypter le clip de «Berghain», on ne peut que la féliciter d’avoir réussi.

Une vision jusque sur le tapis rouge

Ce qu’elle veut, Rosalía semble l’avoir toujours su. «Elle a vraiment une vision», résume Billie Eilish, qui admet à demi-mot qu’il n’est pas toujours aisé de collaborer avec elle. Et cette vision ne concerne pas que la musique. «Elle ose dans tout ce qu’elle fait, de ses chorégraphies à sa musique, en passant par ses costumes», salue le styliste italien Riccardo Tisci dans «W». «Et je l’aime pour ça.» Lui l’a habillée pour la cérémonie des MTV Music Video Awards, en 2019. Sa première télévision américaine. En corset noir de velours aux coutures brodées de cristaux, elle fait sensation.

Depuis, elle s’est affirmée comme une icône de mode aux goûts sûrs, proche des maisons Balenciaga, Acné ou Jacquemus. Toujours quelque part entre la nonchalance et le chic, amoureuse des lunettes de soleil, l’artiste emprunte autant à l’univers du motocross – elle est nue en casque de moto et ongles démesurés sur la pochette de son album «Motomami» – qu’à l’imagerie sacrée – avant «Lux», elle était déjà les bras en croix pour son deuxième opus, «El Mal Querer».

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Sur les tapis rouges, Balmain et Dior, dont elle est désormais égérie, se disputent le droit de l’habiller. Et Rosalía suit avec le même état d’esprit que pour la musique, résumé auprès de «Vogue»: «J’ai toujours voulu prendre des risques et essayer de nouvelles choses.»

La rançon de cette hyperactivité, c’est la fatigue. Déjà en 2019, elle disait a «W» ne pas dormir. «Je suis toujours en train de penser, de travailler, d’imaginer. Même avec mes vêtements, je dois connaître tous les détails.» Ce qui la fait tenir est aussi impénétrable que les voies du Seigneur. «Parfois, j’ai un désir que rien dans ce monde ne peut combler», admet-elle dans le podcast catalan «Radio Noia». «Personne ne m’oblige à rien. Ma mission, c’est faire de la musique. Peut-être que seul Dieu peut remplir cet espace.» La joie, aussi. «Faire de la musique et l’écouter m’en procure beaucoup», dit-elle au «Monde». Avec «Lux», Rosalía touche peut-être du doigt un début de satisfaction.

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