Râles de mourants, bruits d'explosions, musique sordide
La dernière arme de la Corée du Nord? Les nuisances sonores

Coups de feu, rires sinistres, hurlements fantomatiques: toutes les nuits, l'île sud-coréenne de Kanghwa est bombardée de bruits à glacer le sang par sa voisine du nord. Une étrange campagne de guerre psychologique qui met les nerfs des habitants à rude épreuve.
Publié: 29.11.2024 à 19:39 heures
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Dernière mise à jour: 29.11.2024 à 19:47 heures
Certains émettent l'hypothèse qu'en diffusant ces bruits, la Corée du Nord cherche, en fait, à noyer la propagande sonore provenant du Sud. (Image prétexte)
Photo: KEYSTONE
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AFP Agence France-Presse

Séparée de la Corée du Nord par l'estuaire du fleuve Han, au nord-ouest de Séoul, l'île de Kanghwa était jusqu'ici surtout réputée pour ses paysages de montagnes, ses rizières et ses petits villages. «D'habitude, on profitait des sons paisibles de la nature, du chant des insectes et des oiseaux», raconte à l'AFP Kim Yun-suk, un habituant de l'île. «Maintenant, tout ce qu'on entend, c'est ce bruit.»La Corée du Nord a commencé à émettre ces sons en riposte à la reprise, en juillet, de la diffusion par haut-parleurs de k-pop et d'informations internationales par l'armée sud-coréenne le long de la frontière. Séoul avait pris cette mesure en représailles à l'envoi par la Corée du Nord de milliers de ballons chargés d'immondices vers le Sud.

Ahn Hyo Chol se souvient des émissions de propagande nord-coréenne d'antan, qui vilipendaient les dirigeants du Sud et encensaient le régime de Pyongyang. Alors qu'aujourd'hui, «ce sont des hurlements de loups, des bruits de fantômes», dit-il. «C'est désagréable et ça me donne des frissons. C'est vraiment bizarre.»

Râles de mourants, bruits d'explosions, hurlements

Pour Park Heung-yeol, conseiller municipal de Kanghwa, «ce n'est pas de la simple propagande du régime. Cela vise vraiment à tourmenter les gens.» Une équipe de l'AFP s'est rendue à Kanghwa durant la nuit et a entendu ces bruits effroyables diffusés à tue-tête. L'inquiétant mélange de râles de mourants, de crépitements d'armes automatiques, d'explosions, de rires et hurlements obsédants et de musique sinistre commence à 23 heures.

«
Je préférerais une inondation, un incendie ou même un tremblement de terre, car pour ces événements on sait toujours qu'on finira par s'en remettre
An Mi-hee, habitante de Kanghwa
»

La privation de sommeil et le bruit assourdissant sont des formes de torture bien connues. Selon les experts, une exposition à plus de 60 décibels la nuit augmente le risque de troubles du sommeil. A Kanghwa, l'AFP a mesuré des bruits nord-coréens montant jusqu'à 80 décibels. «Je me retrouve à prendre des médicaments contre les maux de tête presque tout le temps», raconte à l'AFP An Mi-hee, qui se plaint également d'anxiété, de douleurs oculaires, de tremblements du visage et de somnolences. «Nos enfants ne peuvent pas dormir non plus. Ils développent des aphtes et ils s'endorment à l'école.» Désespérée, An Mi-hee est même allée s'agenouiller en larmes devant les députés de l'Assemblée nationale à Séoul en octobre, pour les supplier de trouver une solution.

«Je préférerais une inondation, un incendie ou même un tremblement de terre, car pour ces événements on sait toujours qu'on finira par s'en remettre, affirme-t-elle. Là, on ne sait pas si ça va continuer jusqu'à ce que la personne qui donne les ordres en Corée du Nord meure, ou si cela peut s'arrêter à tout moment. On n'en sait tout simplement rien.»

Se protéger de la propagande du sud?

Les politiciens de Séoul «devraient venir ici et essayer de vivre avec ce bruit pendant juste dix jours. Je doute qu'ils puissent le supporter plus d'une seule journée», s'énerve Choi Hyoung-chan, un autre habitant de Kanghwa. Selon des ingénieurs du son consultés par l'AFP, le bruit semble être un mélange rudimentaire de clips provenant d'une bibliothèque de sons, comme celles utilisées par les stations de radio et les chaînes de télévision. «On dirait que ça sort tout droit d'un film d'horreur sud-coréen des années 1970 et 1980», estime l'un de ces ingénieurs, Hwang Kwon-ik.

Certains émettent l'hypothèse qu'en diffusant ces bruits, la Corée du Nord cherche, en fait, à noyer la propagande sonore provenant du Sud, craignant qu'elle n'incite ses troupes à la défection. En août, juste après la reprise de la propagande par Séoul, un soldat nord-coréen avait réussi à passer au Sud à pied. Certains experts ont suggéré que la musique et les messages du Sud l'avaient encouragé à tenter la dangereuse traversée de la zone démilitarisée, infestée de mines et d'autres pièges.

Mais pour Lee Su-yong, professeur de production audio à l'Institut Dong-Ah pour les médias et les arts, cette hypothèse ne tient pas debout, les haut-parleurs nord-coréens étant tournés vers le sud. «Si on veut masquer un son dirigé vers le nord, alors le son utilisé pour le couvrir doit aussi être dirigé vers le nord», explique-t-il à l'AFP. «Compte tenu de la structure du son, il semble qu'il s'agisse moins de masquer un bruit que d'infliger des souffrances aux habitants du Sud.»


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