Le gouvernement américain réclame la vente du navigateur internet Chrome par Google pour limiter son avantage concurrentiel, une opération qui bousculerait le géant de la recherche, pour peu qu'un ou plusieurs acheteurs se manifestent.
Le ministère américain de la Justice a recommandé mercredi cette mesure au juge fédéral de Washington qui doit statuer l'an prochain sur la peine de Google, reconnu coupable de pratiques anticoncurrentielles dans la recherche en ligne.
«On va se débrouiller»
«Ce serait un coup dur porté à Google», estime Dan Ives, analyste de Wedbush Securities, «qui changerait drastiquement son modèle économique». «Cela les priverait d'un portail internet majeur, duquel ils retirent beaucoup d'informations qu'ils peuvent utiliser pour entraîner leurs algorithmes et renforcer leur activité de recherche», explique Beth Egan, professeur de publicité à l'université de Syracuse.
Lancé en 2008, Chrome capte désormais près de 70% du marché des navigateurs, qui a vu la part d'Explorer et Edge, les deux produits de Microsoft, passer de plus de 60% à moins de 5%. Malgré tout, les observateurs ne voient pas dans cette possible cession la menace d'une crise existentielle pour Google.
Beth Egan dresse un parallèle avec la limitation drastique par Apple et son navigateur Safari des «cookies», des marqueurs qui permettent aux entreprises de retracer le parcours d'un internaute sur la toile. «Les publicitaires se sont dits: on a un angle mort, mais on va se débrouiller», se souvient-elle. «Et Google fera la même chose.»
15 milliards de dollars
Un analyste de l'agence Bloomberg estime à au moins 15 milliards de dollars le prix de vente du navigateur qui compte plus de trois milliards d'utilisateurs. Le manque de précédent significatif rend néanmoins délicate toute estimation.
En 2016, le norvégien Opera Software ASA a cédé son navigateur à un groupe d'investisseurs chinois pour 600 millions de dollars, mais il ne revendiquait, à l'époque que 350 millions d'utilisateurs mensuels.
Personne pour acheter Chrome
«Les acheteurs potentiels de Chrome ne sont vraiment pas nombreux», avance Evelyn Mitchell-Wolf, du cabinet Emarketer. En outre, ajoute l'analyste, «il est probable que toutes les sociétés qui en ont les moyens soient déjà sous surveillance des autorités de la concurrence». «Je ne vois pas qui peut l'acheter sans créer un nouveau problème de concurrence», abonde Beth Egan.
Pour Evelyn Mitchell-Wolf, le gouvernement américain pourrait néanmoins autoriser un groupe américain à acquérir le navigateur «pour donner la priorité à l'innovation dans l'IA (intelligence artificielle) et pour positionner au niveau mondial les Etats-Unis» sur cette nouvelle technologie.
Moteur par défaut
«Si Chrome est scindé (de Google) et adopte un autre moteur par défaut, le volume de recherche va migrer vers cette plateforme et y rester tant que la qualité ne se détériorera pas significativement», diminuant la part de marché de Google, prévoit Evelyn Mitchell-Wolf. Cela suppose néanmoins, prévient-elle, que le nouveau propriétaire continue à investir et innover dans Chrome.
«Le ministère de la Justice considère que les gens utilisent Google parce que c'est le moteur de recherche (de Chrome) par défaut» et prévoit que si le choix est laissé aux utilisateurs, «ils en prendront un autre, mais cela me paraît improbable».
«La Chine a peur de Google»
Beaucoup s'attendent déjà à ce que le juge Amit Mehta ne suivent pas les recommandations du gouvernement américain concernant Chrome. Pour Angelo Zino, du cabinet CFRA, ces mesures sont «extrêmes et devraient ne pas être imposées par le tribunal». Par ailleurs, la perspective de l'entrée en fonction de la nouvelle administration Trump, fin janvier, «est un joker», selon l'analyste.
En octobre, Donald Trump avait laissé entendre qu'il n'était pas favorable à un démantèlement de Google, estimant qu'une scission serait pénalisante pour les Etats-Unis sur le plan international. «La Chine a peur de Google», avait-il déclaré, tout en se montrant très critique du groupe californien.