Les dessous de la propagande du Kremlin
Mais pourquoi Poutine a-t-il fait créer un James Bond russe?

Des documents secrets transmis aux médias occidentaux le prouvent: Vladimir Poutine investit énormément dans sa guerre d'information, dans la surveillance de masse sur Internet – et dans une série d'espionnage télévisée. Des experts livrent leur analyse à Blick.
Publié: 27.02.2024 à 09:05 heures
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Le président Vladimir Poutine (71 ans) espère que la série «DDR» donnera une image positive de son appareil de sécurité et lui attirera davantage de suffrages. Lors de l'élection présidentielle, il espère une participation de plus de 65%.
Photo: IMAGO/SNA
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Myrte Müller

Des yeux bleus, de belles femmes, des courses-poursuites endiablées. Et beaucoup de méchants qui meurent. Le super-héros russe de la série d'espionnage en 14 épisodes «DDR» est une sorte de James Bond russe. Comme son modèle britannique, l'intrépide Alexandre Netchaïev se bat pour le compte de Sa Majesté. Mais cette fois-ci, la «majesté» n'est pas la reine, mais Vladimir Poutine. En effet, ce thriller politique fait partie des grands projets de la machine de propagande du Kremlin. L'objectif est d'attirer le plus grand nombre possible d'électeurs aux urnes entre le 15 et le 17 mars prochain.

Le Russian Bond n'est toutefois qu'un projet de propagande parmi d'autres. Poutine ne laisse rien au hasard avant les élections. Des documents de l'administration présidentielle russe transmis aux médias allemands ZDF et au «Spiegel» le prouvent.

Tableaux, documents et budgets de 2020 à fin 2023: Les Kremlin Leaks montrent un rare aperçu de ce qui se déroule derrière les murs de la forteresse du pouvoir russe. Ils démontrent que l'autocrate Poutine – que l'on croit tout-puissant – doit tout de même se battre pour gagner les faveurs de la population russe.

La machine de propagande du Kremlin dévoilée

Produits par le cercle intérieur du pouvoir, ces documents secrets révèlent combien Poutine est prêt à payer pour garantir le soutien électoral des citoyens russes. Le Kremlin souhaite en effet investir jusqu'à un milliard de francs dans le lavage de cerveau, la surveillance numérique, mais aussi dans les projets d'éducation de la jeunesse, notamment dans les régions occupées d'Ukraine.

Près de la moitié des fonds alloués concerne l'élection présidentielle. L'Institut pour le développement de l'Internet (IRI), chargé de «la formation intellectuelle et morale des jeunes», reçoit à lui seul 177 millions de francs. Des productions comme la série «RDA» doivent quant à elles redorer l'image du service de sécurité de l'Etat. Les documents secrets font également état d'une liste de «contenus créatifs pour les élections» et de plusieurs films qui doivent être produits d'ici à mars 2024. Les projets sont tranchés la plupart du temps par le Premier ministre russe Mikhaïl Michoustine ou par Vladimir Poutine en personne.

Vladimir Poutine se présente pour la cinquième fois aux élections. Au fil des ans, il a éliminé toute opposition, brisé toute résistance. Il a maintenant le champ libre pour manipuler un scrutin que personne ne contestera. Alors pourquoi déployer autant d'efforts financiers pour gagner des électeurs?

La participation électorale doit atteindre 65%

L'électorat est très important, explique l'expert autrichien de la Russie Gerhard Mangott à Blick. «Si la participation descend en dessous de 65%, cela pourrait être interprété comme un rejet croissant du régime», explique ce professeur de sciences politiques à l'université d'Innsbruck. Le président russe viserait même une participation de 80%. En fin de compte, voter Poutine, c'est aussi voter pour la guerre.

«L'éventail habituel des manipulations électorales, comme le vote carrousel (les personnes sont inscrites dans plusieurs bureaux de vote) ou l'insertion de bulletins de vote au nom de personnes décédées depuis longtemps, aura certainement lieu cette année aussi», poursuit Gerhard Mangott. En revanche, ce qui est inédit, c'est que les élections se dérouleront sur trois jours au lieu d'un seul. Le régime devrait avoir ainsi plus de temps pour «peaufiner» les résultats. Le vote en ligne devrait également faire l'objet de fraudes. «Les manipulations électorales sont tout de même limitées, Poutine a donc besoin que de nombreux électeurs votent réellement pour lui.»

L'historien britannique Mark Galeotti pense la même chose. «D'une certaine manière, on essaie de minimiser les manipulations électorales les jours d'élection proprement dits», explique cet expert en politique de sécurité russe dans les pages du «Spiegel». «Il s'agit de conditionner les gens à l'avance pour que l'écart entre le résultat réel et le résultat annoncé des élections soit le plus faible possible.» On ne veut en aucun cas éveiller des soupçons de manipulations du système politique, poursuit Mark Galeotti. C'est ce qui avait conduit, il y a douze ans, à des manifestations massives contre le Kremlin.

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