6293 candidats pour 577 sièges de députés. Le premier tour des législatives françaises qui s’achève ce dimanche à 20h va d’abord effectuer un tri impitoyable. Au final, environ un millier de candidats resteront sans doute en lice pour le second tour du 19 juin, dans un système électoral majoritaire controversé, car il n’aboutit pas – contrairement à la Suisse et à la plupart des démocraties parlementaires – à une représentation proportionnelle des forces politiques du pays.
En France, les députés sont élus dans des circonscriptions à la majorité des suffrages. Ils doivent, pour se qualifier pour le second tour, réunir au moins 12,5% des inscrits. Des règles mises en place par la Constitution de 1958 pour éviter l’instabilité, l’émiettement des forces politiques, et surtout permettre au chef de l’État de disposer d’une majorité parlementaire solide. Sauf qu’aujourd’hui, rien ne va plus. La preuve à travers trois échecs programmés, que ce premier tour de scrutin devrait confirmer.
Les urnes et la colère: les citoyens n’en peuvent plus
57,36% des 48,7 millions d’électeurs français n’étaient pas allés voter au second tour des élections législatives de juin 2017 qui avaient donné une majorité absolue au président Emmanuel Macron, tout juste élu pour un premier mandat.
Plus d’un français sur deux avait boudé les urnes, preuve à la fois du niveau de colère ambiant, et de la désaffection d’une grande partie de la population pour la démocratie représentative, comme on a pu le constater à nouveau lors des élections régionales de 2021, lors desquelles 34,6% des électeurs seulement s’étaient déplacés. A titre de comparaison, l’élection présidentielle au suffrage universel, de loin la plus populaire en France, a été boudée par 28,6% d’abstentionnistes. Un français sur trois ne s’est pas déplacé pour élire le locataire du palais présidentiel de l’Elysée.
Cet échec prouve que la démocratie française va mal. Le système, dominé par un exécutif tout puissant, est jugé de moins en moins convaincant par les électeurs, surtout au sein des jeunes générations, plus tentées par d’autres modes d’action politiques, comme les manifestations de masse pour le climat ou l’engagement associatif le démontrent.La France n’est, bien sûr, pas le seul pays confronté à cette désaffection démocratique. Mais au vu de l’extrême polarisation du débat hexagonal, ce refus d’aller voter est une difficulté supplémentaire pour réformer et moderniser les institutions.
Ce n’est pas un hasard si les Français, dans toutes les enquêtes d’opinion, réclament plus de démocratie directe. La crise des «gilets jaunes», en 2018-2019, a mis sur le devant de la scène une revendication en faveur du Référendum d’initiative citoyenne (RIC) inspiré du modèle suisse. Juste avant le premier tour de ces législatives, Emmanuel Macron a pour sa part proposé de réunir un Conseil national de la Refondation qui inclurait, en plus des élus et des partenaires sociaux, des citoyens tirés au sort. Gadget ou initiative prometteuse? Gare, en tout cas, à l’asphyxie électorale dans ce pays marqué, depuis 1789, par sa puissante tradition révolutionnaire.
La mort du Parti socialiste: la révolution plutôt que la réforme
Révolution. Désobéissance civile. Ces mots se retrouvent souvent dans les discours du leader aujourd’hui incontesté de la gauche française, Jean-Luc Mélenchon, arrivé en troisième position à l’élection présidentielle d’avril 2022, derrière Emmanuel Macron (vainqueur avec 58,5% des suffrages) et Marine Le Pen.
La volonté de rupture du chef de file de la Nouvelle Union Populaire Ecologique et sociale (NUPES) est affichée, et elle explique largement la mort programmée du Parti socialiste français qui a décidé de conclure avec lui une alliance électorale et de présenter ses candidats sous la bannière de la NUPES.
L’échec est celui du réformisme social-démocrate qu’avait tenté dans le passé d’incarner l’ancien premier ministre Michel Rocard (décédé en 2016). L’idée d’un compromis entre les forces sociales et le capitalisme, basée sur une puissante intervention régulatrice de l’Etat, ne fait plus recette en France.
Les sympathisants de la NUPES veulent croire, comme l’ancien président François Mitterrand (décédé en 1996) l’avait promis en 1981, qu’il est possible de renverser le système, quitte s’il le faut à nationaliser des grandes entreprises, à désobéir aux règles de l’Union européenne et à instaurer pour financer cela un impôt universel qui s’appliquerait à tous les Français, où qu’ils résident (sur le modèle américain).
Cette puissante aspiration à un changement radical, que Jean-Luc Mélenchon – candidat au poste de premier ministre pour contrer Emmanuel Macron – défend jusqu’à assumer une possible confrontation directe avec l’Allemagne, tire sa force de la colère sociale contre une démocratie jugée trop inégalitaire. Le Parti socialiste français, majoritaire en 2012 lors de l’élection de François Hollande à la présidence de la République, apparaît comme un dinosaure condamné au cimetière.
La crise de la droite: Chirac, Sarkozy… Adieu De Gaulle !
La droite française a toujours fonctionné avec un chef incontesté. Or les deux derniers, Jacques Chirac (président de 1995 à 2007) et Nicolas Sarkozy (président de 2007 à 2012), n’ont pas de successeurs.
Retiré de la politique, mais toujours très sollicité par les médias, Nicolas Sarkozy, 67 ans, soutient d’ailleurs aujourd’hui Emmanuel Macron, après avoir boycotté la candidate de son parti «Les Républicains» à la présidentielle, Valérie Pécresse. Laquelle a obtenu… moins de 5% des voix, entraînant une grave crise financière dans sa formation, car ses dépenses de campagne n’ont pas été remboursées par les pouvoirs publics.
Crise de la droite donc, prise en étau entre le Rassemblement national de Marine Le Pen et le parti «Reconquête» d’Eric Zemmour, l’ex polémiste médiatique qui se présente aux législatives à Saint-Tropez, dans le Var. Or la droite Française traditionnelle a toujours été un pilier du système, centrée sur la défense des territoires, des valeurs conservatrices et de la liberté d’entreprendre.
Problème: ce discours est devenu inaudible, confisqué par l’extrême-droite et par la volonté de Marine Le Pen d’une puissante intervention de l’État dans l’économie. Là aussi, le système français en danger. La radicalisation croissante tue le centre qui, traditionnellement, permet de nouer des alliances politiques. Chirac et Sarkozy, c’est fini! Et avec eux, l’héritage politique rassembleur du Général de Gaulle, dont le père de Marine Le Pen, Jean-Marie le Pen, fondateur du Front national, fut toujours un adversaire acharné.