Déplorer leurs prises de position est facile. S’en prendre à leurs propos caricaturaux et réducteurs revient à jouer sur du velours médiatique. Oui, Alain Souchon a peut-être dépassé les bornes en affirmant sur RTL ne pas croire les Français «assez cons pour élire quelqu’un du Front national» (devenu depuis 2018 le Rassemblement national). Et oui, Patrick Sébastien en fait des tonnes lorsqu’il explique, invité pour l’entretien matinal de BFM TV, qu’il représente «la France qui en a marre» dont il veut défendre les demandes, d’ici à l’élection présidentielle prévue en mai 2027.
Difficile, pourtant, de ne pas voir dans ce duel politique par artistes populaires interposés un résumé du pays tel qu’il est: indigné et inquiet d’un côté devant le risque de victoire électorale de la droite nationale-populiste; en colère et à bout, de l’autre côté, face aux défis du quotidien: insécurité croissante, emprise du trafic de drogue sur le territoire, pouvoir d’achat en berne.
Souchon le poète, porte-parole de l’élite apeurée? Sébastien le comique troupier, héros des masses populaires oubliées par ceux qui les gouvernent? Dans les deux cas, la question est mal posée. C’est une seule France que ces deux-là résument. Et l’importance accordée à leurs propos par les médias français démontre bien qu’ils mettent, l’un et l’autre, leurs micros dans les plaies nationales.
Alain Souchon, franco-helvète, a beau jeu d’affirmer que si le RN arrivait au pouvoir, «on irait en Suisse». Patrick Sébastien, éternel patron du «plus grand cabaret du monde», jamais avare de vulgarité calculée, sait qu’il va faire mouche en parlant du «mépris qui a fabriqué» le parti dirigé par Marine Le Pen. Sauf que l’un et l’autre ne sont pas contradictoires, mais complémentaires.
Tous deux disent l’incapacité d’une partie importante de la population à se regarder dans le miroir de 2025. Tous deux s’en prennent à l’impuissance d’une classe politique fragmentée, ligotée par les contraintes financières et budgétaires de la France. Tous deux, chacun à leur manière, sont nostalgiques d’une France où la droite succédait à la gauche, et vice-versa, en tirant toujours plus sur la corde des dépenses publiques, avec comme référence ultime les figures tutélaires du Général de Gaulle ou de François Mitterrand. Tous deux jurent que le peuple n’est pas si stupide que ça, même s’ils en font des interprétations radicalement différentes. Tous deux, enfin, semblent persuadés que le grand basculement est proche et qu’une époque, la leur, est définitivement en train de s’achever.
Vous savez quoi? L’auteur-interprète de «Y’a de la rumba dans l’air» et celui du «petit bonhomme en mousse» expriment au fond la même chose: leur souffrance. Le premier, classé à gauche, le fait en plaidant pour l’intelligence face à la supposée «connerie» des électeurs RN. Le second, résolument à droite, le dit avec sa morgue d’imitateur populaire, persuadé que ses salles de spectacle sont le meilleur des baromètres nationaux. Les opposer est toutefois bien trop facile. C’est leur blessure commune qui doit être auscultée et prise très au sérieux. Souchon et Sébastien entonnent au fond le même refrain, et il n’est ni drôle, ni méprisant: «Allo, maman France bobo»!