Rachida Dati dispose d’une arme qu’elle croit encore être fatale pour faire taire ses accusateurs: ses origines sociales. Dès qu’elle le peut, la ministre française de la Culture riposte en soulignant d’où elle vient: une famille immigrée d’origine marocaine, établie dans un quartier populaire de Chalon-sur-Saône, en Bourgogne. Traduisez: lorsque l’on est née pauvre et que l’on est une femme, s’en sortir et accéder aux plus hautes responsabilités politiques impose le respect. Point.
Ce sous-texte est indispensable pour comprendre l’ampleur de la polémique déclenchée par la décision des juges de renvoyer Rachida Dati et l’ancien PDG de Renault Carlos Ghosn (en fuite au Liban, son pays d’origine qui refuse de l’extrader malgré les mandats d’arrêts internationaux) devant un tribunal correctionnel pour «corruption et trafic d’influence».
Le procès aura lieu en 2026, sans doute après les élections municipales du mois de mars. Il se tiendra à Paris, la capitale française que l’élue espère conquérir, après avoir exercé trois mandats consécutifs de maire du 7e arrondissement, le quartier parisien des ministères, sanctuaire de la bourgeoisie administrative et intellectuelle.
Contre les juges
Rachida Dati contre les juges. Les motifs? Une rémunération non déclarée de 900'000 euros, payé par le groupe automobile Renault Nissan (alors dirigé par Carlos Ghosn) entre 2010 et 2012, alors que l’actuelle ministre siégeait sur les bancs de la droite au Parlement européen. Le Parquet national financier, qui a enquêté, affirme que cette somme scellait un «pacte de corruption» entre l’élue et l’industriel. Simultanément, plusieurs autres affaires – sans débouché judiciaire jusque-là – interrogent le patrimoine de Rachida Dati: autres prestations rémunérées, bijoux non déclarés (pour une valeur d’environ 400'000 euros) à la Haute autorité de la transparence de la vie publique…
La réponse de la ministre, recrutée par Emmanuel Macron au sein de la droite pour entrer en janvier 2024 dans le gouvernement de son ex-dauphin Gabriel Attal, est de nier tout en bloc. Non, elle n’est pas corrompue! Et non, l’argent versé par Renault n’a pas influencé son comportement d’élue à Strasbourg! Le plus intéressant, pour qui observe cette affaire, est que Rachida Dati est elle-même magistrate de formation et qu’elle fut ministre de la Justice sous la présidence de Nicolas Sarkozy, de 2007 à 2009. Qu’importe la loi donc: pour Rachida Dati, ces poursuites et ce futur procès sont politiques. Les droits de la défense sont piétinés. L’objectif est de l’empêcher d’accéder à la Mairie de Paris.
Infraction peu contestable
Vrai? Faux? Un peu les deux. Sur le plan judiciaire d’abord, l’infraction est difficile à contester. Les 900'000 euros touchés de Renault ont bien été dissimulés. D’autres ex-élus européens ont d’ailleurs dû quitter leurs fonctions à la suite d’accusation similaires, telles l’ex-éphémère ministre de la Défense Sylvie Goulard, qui aurait dû être Commissaire européenne en 2019.
Sur le plan politique, l’impact des poursuites est bien celui dénoncé par Rachida Dati, soupçonnée par beaucoup de ses collègues et ex-collègues d’avoir longtemps alimenté la presse en infos et rumeurs, au point que son nom fut même cité comme responsable des fuites sur les dérives financières personnelles de François Fillon, battu au premier tour lors de la présidentielle 2017. Oui, ce procès va nuire à sa candidature à Paris. Et oui, il ouvre une voie à ses rivaux à droite dont l’un vient de se déclarer en posant sa candidature à un siège de député parisien dont l’élection vient d’être annulée: l’ancien Premier ministre Michel Barnier.
Comme Sarkozy
Rachida Dati est, en fait, dans une position similaire à celui qui la fit entrer en politique et elle a été l’ardente défenseuse: Nicolas Sarkozy. Leurs deux noms sont associés à des affaires d’argent. Tous deux sont soupçonnés (Sarkozy a déjà été condamné) de corruption et trafic d’influence. Tous deux mettent en avant leur parcours et leur efficacité, comme dirigeants. Tous deux ont des problèmes récurrents avec la probité attendue d’un élu de la République.
Le parcours hors normes, preuve d’une incroyable ténacité, de la ministre française de la Culture, justifie-t-il de fermer les yeux sur ces agissements désormais dans les mains de la justice? L’ascenseur social incarné par Rachida Dati carburait-il aux enveloppes de cash payées par des groupes industriels dirigés par des hommes dont elle fut très proche?
Paris et la corruption
La mairie de Paris, vitrine de la France et enjeu crucial au vu de l’état de délabrement de la capitale française, peut-elle être confiée à une personnalité réputée pour son «affairisme» et son goût un peu trop voyant de l’argent? C’est à ces questions que Rachida Dati doit aujourd’hui répondre. Pas par des accusations, mais par des faits. En n’oubliant pas un élément médiatique perturbant: la mobilisation générale, au sein du service public français de la télévision et de la radio - France 2, France 5, Radio France... - contre la réforme qu’elle porte devant le Parlement en vue de créer une holding unique.
Avec l'affaire Dati, la justice française se retrouve une nouvelle fois prise dans un sac de nœuds de règlements de comptes.