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En Nouvelle-Calédonie, c'est la décolonisation qui reprend

La création d'un Etat calédonien au sein de la République française est un pas vers une décolonisation qui pourrait, après la Nouvelle-Calédonie, concerner d'autres territoires d'outre-mer. Un sujet crucial pour l'influence de la France dans le monde.
Publié: 12:56 heures
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Le drapeau de la Kanaky sera-t-il demain celui de l'Etat indépendant de Nouvelle-Calédonie ?
Photo: keystone-sda.ch
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Richard WerlyJournaliste Blick

Le mot plane au-dessus du résultat des négociations sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie qui se sont achevées à Paris samedi 12 juillet. Ce mot? Décolonisation. Car même si les médias français peinent à l’écrire, le processus confirmé par la reconnaissance d’un futur Etat calédonien et d’une nationalité calédonienne au sein de la République française va bien dans ce sens. A 17 000 kilomètres de l’hexagone, l’archipel de Nouvelle-Calédonie se rapproche du but réclamé par une grande partie de la population autochtone kanake depuis les années 80 et après trois référendums (2018, 2020, 2021, tous favorables au statu quo): l’indépendance.

En décembre 1986, l’Assemblée générale des Nations unies a réinscrit la Nouvelle-Calédonie sur la liste des «territoires non autonomes et à décoloniser», conformément à la Charte de l’ONU. Une déclaration est depuis lors votée chaque année à New York sur cet archipel du Pacifique, peuplé d’environ 300 000 habitants, dont environ 115 000 Kanaks. La dernière date du 7 décembre 2023, avant les émeutes et les violences qui ont explosé en mai 2024, conduisant le territoire au bord de la guerre civile.

L’alerte de l’ONU

Ce texte onusien désigne toujours la France comme «Puissance administrante». Il exhortait alors Paris «à veiller au maintien et au renforcement de la protection et de la garantie du droit inaliénable qu’a le peuple du territoire de posséder ses ressources naturelles, d’y avoir accès, de les utiliser et de les gérer, y compris son droit patrimonial de les exploiter à l’avenir», après avoir rappelé son «droit à l’autodétermination».

Le texte signé samedi 12 juillet par les négociateurs indépendantistes et non-indépendantistes est un accord sur l’avenir institutionnel de l’île. Mais il va bien plus loin que les précédents accords de Matignon (novembre 1988) et Nouméa (1998). Cet accord qui devra maintenant être approuvé en Nouvelle-Calédonie (par un référendum en février 2026) et en France (sans doute par le Parlement), acte notamment un «État de la Nouvelle-Calédonie» inscrit dans la Constitution, dont l’organisation institutionnelle sera sui generis, et donc inédite.

Double nationalité

Une double nationalité calédonienne et française sera créée. Le futur Etat pourra être reconnu par la communauté internationale, et adhérer à des organisations multilatérales. «La Nouvelle-Calédonie exercera une compétence pleine en matière de relations internationales, dans ses champs de compétences, sauf défense et sécurité» note le projet d’accord.

Du point de vue français, la souveraineté et l’atout stratégique de la France sont préservés. La souveraineté française est, en plus, consolidée en théorie par une future loi électorale qui permettra, après quinze ans de résidence sur place, à tous les citoyens de devenir électeurs, ce qui rassure le camp loyaliste face aux indépendantistes kanaks, moins nombreux (jusque-là, ce corps électoral excluait les résidents arrivés après 1998). Côté stratégique, Paris conserve son accès au Pacifique, et son domaine maritime qui est le deuxième au niveau mondial, même si les moyens militaires français limités ne permettent pas d’en assurer le contrôle face à l’omniprésence navale de la Chine.

Décolonisation en marche

Du point de vue des partisans de l’indépendance, la décolonisation est bien en marche. Même s’il n’est pas désigné comme tel, l’Etat calédonien sera de facto «associé» à la République qui continue de dépenser chaque année environ deux milliards d’euros pour financer son administration et les collectivités locales sur place. La question, désormais, est pour ces indépendantistes de mettre à profit la période de transition qui s’ouvre pour trouver de nouvelles ressources économiques, nouer des partenariats régionaux, et surtout relancer la filière du nickel, principale matière première insulaire (l’une des principales mines, possédée par le groupe suisse Glencore, a fermé en 2024) mise en faillite par la concurrence de la Chine et de l’Indonésie.

Ironie du calendrier: au lendemain de l’accord sur la Nouvelle-Calédonie, dont le nickel est l’arrière-plan, le président français reçoit d’ailleurs en grande pompe à Paris pour le 14 juillet le chef de l’Etat indonésien Prabowo Subianto. Vont-ils parler, en plus des futurs contrats d'achats d'armes, du nickel calédonien?

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