Ex-président «malfaiteur»
Les 5 leçons du procès de Sarkozy et de l'argent de Kadhafi

Nicolas Sarkozy a de nouveau été reconnu coupable par un tribunal français. Cette fois, dans l'affaire des fonds libyens, l'ancien président a été condamné à 5 ans de prison pour «association de malfaiteurs». Retour sur un procès et un jugement hors normes.
Publié: 16:49 heures
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L'ancien Président français était arrivé au Tribunal de Paris avec son épouse, Carla Bruni.
Photo: AP
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Richard WerlyJournaliste Blick

Le colonel Kadhafi a bien corrompu une partie de la classe politique française, via des intermédiaires sulfureux et des circuits de financement opaques qui transitaient par Genève. La justice a tranché dans cette affaire des fonds libyens qui remonte à près de vingt ans, aux années 2005-2007. L’ex-président français Nicolas Sarkozy, principal accusé aux côtés de onze autres prévenus, a été déclaré coupable «d’association de malfaiteur». Il est condamné à une peine exceptionnelle et inédite pour un ancien Chef de l’Etat: 5 ans de prison avec un mandat de dépôt différé, mais prévu avant son procès en appel.

Convoqué le 13 octobre par la justice, «Sarko» passera donc par la case détention dans cette affaire qui empoisonnait la politique française depuis près de 20 ans. ««S'ils veulent absolument que je dorme en prison, je dormirai en prison. Mais la tête haute!» a-t-il déclaré à la sortie de la salle d'audience, en réitérant son innocence. 

Retour sur ce procès hors normes en 5 leçons humiliantes pour la République et pour l’ex-Chef de l’Etat, toujours considéré comme un parrain de la droite française.

Sarkozy, parrain du système libyen

L’homme qui a présidé la France de 2007 à 2012 était un chef de l’exécutif sous influence. Telle est la conviction du tribunal judiciaire de Paris qui l'a condamné à une peine de 5 ans de prison ferme avec mandat de dépôt différé (avant son procès en appel), 100'000 euros d’amende et 5 ans d’inéligibilité avec exécution immédiate. Nicolas Sarkozy, 70 ans, était pour les magistrats «l’organisateur de l’association de malfaiteurs, dont le but était de mettre au point une corruption au plus haut niveau possible une fois élu, soit des faits d’une gravité exceptionnelle». L’ancien président a été relaxé du chef d’accusation de corruption, de trafic d’influence et de blanchiment dans cette affaire qui porte sur une somme évaluée entre six et vingt millions d’euros payés par le régime du défunt colonel Kadhafi. Ce jugement en première instance jette un doute l’élection présidentielle de Nicolas Sarkozy en mai 2007, mais aussi sur la libération des infirmières bulgares négociée par son ex-femme Cécilia, sur l’invitation du dictateur libyen à paris en décembre 2007, et sur l’intervention militaire française en Libye en août 2011.

Le clan Sarkozy était corrompu

L’énoncé des peines dit l’ampleur du crime financier commis ou couvert par le clan Sarkozy, qui avait ses entrées à Tripoli, sous la tente du défunt colonel Kadhafi, tué le 20 octobre 2011 alors qu’il tentait de s’échapper de son fief de Syrte dans un convoi pris en embuscade par les rebelles, aidés par des avions français. «Vous avez recherché des financements à l’étranger. Vous avez accepté une somme conséquente. Et vous vous êtes compromis avec Alexandre Djouhri. Vous avez été insincère devant le tribunal» a adressé la présidente du Tribunal à l’ancien Secrétaire général de l’Elysée Claude Guéant, condamné à 6 ans de prison et 250'000 euros d’amende. «Vous avez une capacité corruptive de haut niveau, notamment du secrétaire général de la présidence de la République» a-t-elle poursuivi envers Alexandre Djouhri, le sulfureux intermédiaire condamné à 6 ans de prison, avec mandat de dépôt, et 3 millions d’euros d’amende. «L’association de malfaiteurs que le tribunal a examinée avait pour but de préparer une corruption active et son blanchiment» ont complété les magistrats. D’où cette question: où sont passés ces fonds? L’intermédiaire libanais Ziad Takieddine, coaccusé décédé mardi 23 septembre à Beyrouth évoquait dans ses déclarations, il est vrai contradictoires, la somme de 20 millions d’euros.

Genève était le maillon clé

Une bonne partie des fonds libyens incriminés ont transité par les bords du Léman. La preuve en a été apportée lors du procès par le Parquet national financier qui a énuméré les sociétés écran mis en place, pour recycler cet argent de Kadhafi, via des intermédiaires saoudiens et suisses. Deux des condamnés avaient pignon sur rue à Genève durant ces années-là. Le premier est l’intermédiaire Alexandre Djouhri, qui possédait une maison chemin du Mont-Blanc à Chêne-Bougeries. Le second est l’ex-banquier Wahib Nacer, condamné pour «complicité de trafic d’influence» à 4 ans de prison avec mandat de dépot et deux millions d'euros d'amende. Tous deux étaient en contact avec Claude Guéant, condamné pour «blanchiment aggravé de fraude fiscale et blanchiment de corruption active».

Alexandre Djouhri, impitoyable parrain

Cet homme-là tenait la République à portée de valises de cash, grâce à la générosité intéressée du défunt dictateur libyen. Alexandre Djouhri (66) a longtemps éludé la justice. Cet intermédiaire, français d’origine algérienne au passé de délinquant, avait l’habitude d’alimenter la presse en informations et il multipliait les allées et venues au palais de l’Elysée, sous la présidence Sarkozy. Point important: Alexandre Djouhri a d’abord été proche de l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin – qui envisage de se présenter à la présidence de la République en 2027 – avant de se mettre au service de son pire adversaire, nommé Nicolas Sarkozy. Ce mercenaire de l’influence politique, connu pour la violence de ses propos et pour intimider ceux qui enquêtent sur son compte, passera par la case prison.

Kadhafi, un corrupteur éliminé?

Impossible de ne pas faire le lien entre l’intervention militaire française au secours des rebelles libyens, décidée en août 2011 après l’explosion politique des printemps arabes, et ce réseau de corruption mis au jour par la justice française, après les révélations de Mediapart. Le colonel Kadhafi a-t-il été tué pour l’empêcher de faire chanter le président français et ses proches? Il est certain, selon le tribunal, que des proches de Sarkozy comme Brice Hortefeux (condamné à 2 ans de prison, 50'000 euros d’amende, 5 ans d’inéligibilité), ou Claude Guéant, ont rencontré des dirigeants libyens impliqués dans l’attentat de 1989 contre un avion d’UTA. Lequel avait fait 170 morts français. Vingt ans plus tard, le fantôme du dictateur libyen plane plus que jamais sur la politique française, ramenée avec ce procès aux pires heures de la «francafrique», ce vaste réseau de financements occultes entre Paris et les pays africains.

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