Aurait-il révélé sa «lettre secrète» au président Macron s'il était redevenu, le 5 octobre, ministre d’Etat ou ministre des Armées et des Anciens combattants dans le premier gouvernement de Sébastien Lecornu? Bruno Le Maire n’a pas répondu à cette question dans le documentaire diffusé ce dimanche par la télévision publique française, et réalisé par «C Dans l'Air», une émission de référence sur l’actualité. Ce dernier tourne autour d'un seul sujet: qui a fait exploser la dette publique de la France, qui a atteint en octobre le chiffre record de 3345 milliards d’euros?
Un homme se défend bec et ongles dans ce documentaire et il est bien connu en Suisse, puisqu’il continue d’enseigner à l’Université de Lausanne, comme professeur invité de géopolitique au Enterprise for Society Center (E4S): Bruno Le Maire, arrivé dans le canton de Vaud au lendemain de son départ du ministère des Finances le 12 septembre 2024, après l’avoir dirigé pendant sept ans. Avec un argument destiné à convaincre les Français, mais aussi les acteurs économiques: lui a tenté, en vain, d’éteindre l’incendie budgétaire.
Le mot «Secret»
«Le mot 'Secret' figure en haut et à gauche d’un courrier dactylographié daté du 6 avril 2024. En lettres capitales note le journal 'La Tribune' qui a révélé son existence. Un document qui n’avait jusqu’ici jamais été publié. Ni vu par le grand public. Or cette note, qui fait suite à d’autres envoyées par le même expéditeur au même destinataire, s’inscrit dans un contexte explosif: le dérapage des comptes publics enregistré à la fin de 2023. Suivi d’un second, encore plus violent, un an plus tard.»
Qu’en déduire? Au moins trois choses, au moment où le débat parlementaire se tient à Paris sur le projet de budget 2026, avec la perspective d’une réduction sérieuse des économies envisagées initialement par le précédent Premier ministre François Bayrou. Celui-ci, contraint de démissionner le 9 septembre après un vote de défiance massif des députés, proposait 44 milliards d’euros de coupes budgétaires, soit en dessous des 50 milliards d’euros de charges d’intérêts annuels de la dette. Désormais, le curseur des économies pourrait se situer autour de 25 milliards d’euros, avec le geste social fort que constitue la suspension de la réforme des retraites de 2023, qui sera discutée ce mercredi 12 novembre à l’Assemblée nationale.
Règlement de comptes
Premier constat à propos de Bruno Le Maire: celui-ci est aujourd’hui dans un mode «règlement de comptes». Pas question d’endosser la responsabilité du dérapage des comptes publics même si celui-ci s’est, de facto, déroulé pendant qu’il dirigeait les finances du pays. Dès son départ, en septembre 2024, Blick avait expérimenté cette volonté de ne pas se retrouver accusé. L’entourage de Bruno Le Maire nous avait aussitôt contacté après une intervention accusatrice de notre part sur RTL. «Nous avons prévenu. Le ministre a fait son job. Il n’a pas été entendu.» Tel était alors le message. C’est ce qu’il répète un an plus tard.
Second constat: Bruno Le Maire a dans son viseur Emmanuel Macron. C’est au président français qu’était adressé le courrier «secret». Et aucune réponse n’est intervenue, sinon le dérapage des finances. Fin 2023? Un déficit public de 5,4%, bien supérieur aux prévisions. Idem en 2024, avec 5,8%. A chaque fois, la version officielle du gouvernement consistait à accuser la baisse de recettes. Mais le calendrier politique fait mal. La lettre «secrète» est expédiée le 6 avril 2024, deux mois pile avant les élections européennes du 9 juin 2024. Macron et son jeune Premier ministre Gabriel Attal pensent qu’ils peuvent gagner. Or le crash électoral aura lieu. Alors, dissimulation présidentielle?
Pas l’homme de la situation
Troisième leçon de ce documentaire: Bruno Le Maire n’était sans doute pas l’homme de la situation. Sept ans au Ministère français des Finances avec quel bilan? Sept ans de présence permanente aux réunions de l’Eurogroupe à Bruxelles avec quelle crédibilité? Au final, la dette française a été dégradée ces dernières semaines par deux agences de notation financière. L’intéressé, reçu premier à l’agrégation de lettres en 1992, est aussi un écrivain. Mais son bilan reste marqué par «l’argent magique»: près de trois cents milliards d’euros d’argent public injectés dans l’économie lors de la pandémie de Covid-19. Suffit-il de montrer aujourd’hui une lettre secrète pour convaincre que cet ex-ministre a tout fait pour empêcher l’explosion de la dette publique qui a augmenté d’environ mille milliards d’euros sous les deux mandats présidentiels d’Emmanuel Macron?
La réalité est en tout cas confirmée par les faits. Bruno Le Maire était prêt, voici un mois, à revenir en politique au sein du gouvernement. Il restait donc, de facto, solidaire du président et de son bilan. Suffit-il d’accuser les députés pour sortir blanchis? Vu de Suisse où il enseigne, la réponse est clairement non. En matière de finances, les chiffres parlent bien plus forts que les lettres, même «secrètes».