Les femmes françaises sont en deuil. Peut-être même, à vrai dire, toutes les femmes. Car ce qui restera de Brigitte Bardot, décédée à 91 ans ce dimanche 28 décembre à Saint-Tropez, est sa défense forcenée de la liberté féminine. Liberté d’une actrice vedette qui refusa les diktats de l’industrie cinématographique.
Liberté d’une femme qui, très tôt, démontra que l’arme de la séduction massive ne doit jamais rimer avec domination masculine. Liberté d’une activiste qui défendit toujours les animaux, envers et contre tous. Et liberté d’une citoyenne – elle fut la première actrice à incarner Marianne, l’égérie de la République, au début des années 60, via le sculpteur Aslan – qui, jusqu’à ses derniers jours, pestait contre la France actuelle et contre la modernité. Au point d’être associée, elle, l’enfant si rebelle des années 60, à la droite la plus réactionnaire.
Beauté, insolence, indignation
Brigitte Bardot n’incarnait pas la femme française. Sa formidable réussite est d’avoir réussi à la personnifier sous tous les angles. La beauté. L’insolence. L’indignation. La rebellion. Mais aussi la ténacité, jamais démentie dans ses combats. Une femme qui, l’âge faisant, ne comprenait sans doute plus les jeunes générations de féministes, qu’elle vilipendait: «Je ne suis pas féministe, car j’aime les mecs», se plaisait-elle à répéter, en pleine vague #MeToo. Elle était «une femme pure», avait osé Alain Delon, l’autre idole cinématographique française des années 60. Bardot était née en 1934, Delon en 1935. «C’est une actrice instinctive mais pas capable d’entrer dans des personnages différents», avait raillé son ancien mentor et mari Roger Vadim, en 2018. Peut-être. Ne joua-t-elle pas le même rôle dans «Et Dieu… créa la femme» (1956), «La Vérité» (1960), «Le Mépris» (1963) ou «Viva Maria» (1965), avant de se retirer définitivement du cinéma en 1973?
Actrice et activiste
S’il faut la comparer, à l’heure de dresser le bilan de sa vie d’actrice et d’activiste, un nom vient de suite à l’esprit: celui de l’Américaine Jane Fonda (née en 1937). Toutes deux ont misé à plein sur leur talent de séductrice. Toutes deux osèrent s’opposer à la norme du moment: sexuelle, politique, sociale et culturelle. Mais une différence majeure oppose ces deux géantes du grand écran: Brigitte Bardot avait une revanche à prendre sur son milieu. BB ne supportait pas sa famille bourgeoise et catholique, comme le montre bien la série biographique Bardot diffusée en 2023. Jane Fonda, elle, avait hérité d’un mythe: celui de son père Henry, acteur majeur du cinéma américain. BB dut forger son propre mythe.
Celle qui lui ressemblait le moins, de l’autre côté de l’Atlantique, était sans doute Marilyn Monroe (1926-1962), même si les deux femmes furent probablement les sex-symbols les plus marquants de leur époque. Marilyn aimait les hommes sans avoir réussi, au fond, à leur résister. Bardot ne supportait pas qu’un homme lui fasse de l’ombre. L’une était un pur produit de la société de consommation triomphante. L’autre avait, comme Française, des racines révolutionnaires. Et ce, même si jamais elle ne fut vraiment en phase avec la gauche, et encore moins avec les «gauchistes»… Au point de devenir, dans la dernière partie de sa vie, une réactionnaire assumée, trés en colère contre l'immigration massive et proche des thèses de la droite nationale populiste.
Femme sous tous les angles
Brigitte Bardot fut l’égérie des femmes françaises parce qu’elle parvint, fait unique, à les représenter sous tous les angles et à donner un échos à leurs envies comme à leurs colères. Séductrice en diable, elle fut, comme mannequin, l’ambassadrice de toutes les grandes marques de mode. Provocante, elle faisait la joie des femmes trop discrètes. Ses mariages successifs, aussi malheureux soient-ils parfois, démontrèrent qu’elle restait toujours aux commandes. Qui d’autre aurait pu lancer: «Le cinéma est une merde molle», comme elle le fit? On pardonnait tout à Brigitte Bardot. Parce qu’elle fonçait avec le plus solide des boucliers: «Sa qualité première, c’est la sincérité du premier élan. Bardot est nature. Elle n’a jamais composé», jugeait Bernard Pivot, le critique littéraire le plus en vue de son époque.
Puis vint le temps qui passe. Celui qui fait rider les visages. Celui qui fait oublier les films et enterrer les légendes. Brigitte Bardot, là aussi porte-parole des femmes, ne chercha jamais à cacher sa vieillesse. Au contraire: elle la mettait en scène, se présentant «nature» devant les rares caméras de télévision autorisées à pénétrer dans son domaine de La Madrague, à Saint-Tropez, où elle est décédée.
Contre la tristesse
A l’heure où la chirurgie esthétique règne en maître à Hollywood et où les influenceuses donnent le ton en suivant l’exemple de Kim Kardashian, BB refusait, têtue, ces diktats qui, selon elle, n’étaient que commerciaux. L’équivalent littéraire de Brigitte Bardot était sans doute Françoise Sagan, l’autrice de «Bonjour tristesse», paru en 1954, pile l’année des débuts à l’écran de BB avec Bourvil dans «Le Trou normand». La première phrase du roman dit leur combat commun pour rompre la monotonie de leur époque: «Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur m’obsèdent, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse», écrivait Sagan. «La France est devenue terne, triste, soumise. Mes animaux ont une pureté perdue par les hommes», lui répliqua Bardot, dans les années 80.
La star qui ne s’aimait pas
«Brigitte Bardot n’aimait pas la star qu’elle était devenue», écrit, dans son hommage présidentiel publié très vite après l’annonce de son décès, Emmanuel Macron. Et de lister ce qui fit d’elle une rebelle: «Menacée par l’OAS pendant la guerre d’Algérie, traquée par les paparazzis, elle s’était très tôt installée sur la Côte d’Azur, à Saint-Tropez, dans une maison de pêcheur qu’elle baptisa La Madrague, lieu mythique qu’elle chanta dans un tube. Brigitte Bardot s’imposa dans le cœur des Français: deux initiales synonymes de mystère, de gloire et de distance. […] Elle porta toujours dans le débat public une voix aussi rebelle que sincère, exprimant ses idées sans souci de plaire.»
Quel meilleur hommage, cela dit, que celui de Serge Gainsbourg, avec lequel elle eut une liaison en 1967. L’année suivante, celle de la révolte étudiante de mai 1968, l’auteur-compositeur la place devant un micro pour chanter Harley Davidson.
Avec ce refrain en forme de programme et (aujourd’hui) d’épitaphe: «Je n’ai besoin de personne/En Harley Davidson/Je n’reconnais plus personne/En Harley Davidson/J’appuie sur le starter/Et voici que je quitte la terre/J’irai peut-être au Paradis/Mais dans un train d’enfer».