Une démonstration de force alors que «la liberté en Europe n’a jamais été aussi menacée depuis 1945». Pour Emmanuel Macron, qui achèvera son second mandat dans moins de deux ans, en mai 2027, l’enjeu de ce défilé du 14 juillet 2025 est avant tout de mobiliser l’opinion publique, et de montrer l’exemple au niveau européen. Objectif: prouver que l’armée française est la meilleure d’Europe. C’est vrai?
La vérité est qu’en matière opérationnelle, comparée aux autres armées européennes, la France dispose en effet d’une force davantage prête au combat. Au total, 200'000 soldats servent sous les drapeaux en France, dans les trois composantes Terre, Air et Mer. Il faut y ajouter 100'000 réservistes. Et, à partir de cet automne, les futures recrues d’un service militaire hybride, basé sur le volontariat, dont Emmanuel Macron a préfiguré les contours lors de son discours du dimanche 13 juillet devant l’état-major.
L’Ukraine, première armée d’Europe
A titre de comparaison, l’armée britannique compte 156'000 hommes, et l’armée allemande – en pleine reconversion – 180'000 hommes. Les deux pays européens qui comptent plus de soldats que la France sont la Pologne (environ 220'000 recrues), et bien sûr l’Ukraine en guerre (environ 900'000). L’armée suisse entraîne pour sa part 147'000 recrues par an, autour d’un noyau de 3600 cadres professionnels. La France a, en plus, deux atouts qu’Emmanuel Macron met sans cesse en avant.
Le premier est la dissuasion nucléaire qui coûte à la France environ six milliards d’euros par an, et que Paris propose d’étendre à ses voisins européens, tout en gardant le contrôle de la décision ultime. Point important: selon les militaires français, la filière atomique tricolore est complètement indépendante, ce qui n’est pas le cas pour le Royaume-Uni, autre puissance nucléaire européenne.
La France dispose d’un stock d’environ 300 têtes nucléaires (contre 4495 pour la Russie) embarqués sur des Rafale ou dans sa flotte de sous-marins stratégiques. La marine française compte quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins et six sous-marins nucléaires d’attaque.
Expérience du combat
Le deuxième atout est son expérience du combat, en particulier sur les théâtres africains. Contrairement au Royaume-Uni, la France n’a pas participé à la guerre d’Irak de 2003-2007 avec les Etats-Unis. Mais elle était aussi présente en Afghanistan, ses forces s'étant retirées en janvier 2012. Attention toutefois: ces opérations n’avaient rien à voir avec une guerre de haute intensité comme celle qui se déroule en Ukraine depuis l’agression russe du 24 février 2022.
Selon les experts, l’actuelle armée française ne pourrait tenir, face à l’armée russe, qu’un front de 80 kilomètres, en mobilisant au plus 45 avions de chasse. Une vulnérabilité décisive existe: la défense antiaérienne. Le système sol-air moyenne portée/terrestre (SAMP/T) – Mamba (franco-italien) est déployé autour de Paris et de plusieurs grands centres urbains. En Ukraine où des batteries ont été déployées, son efficacité est jugée moins bonne que les Patriot américains.
La question du budget
Cela permet-il d’affirmer que l’armée française est la première d’Europe? Pas sûr du tout. Côté budget par exemple, et même en tenant compte des promesses d’Emmanuel Macron (64 milliards d’euros en 2027 contre 32 milliards en 2017), celle-ci reste – si l’on prend en compte la superficie du pays et la population – en deçà de la Pologne, et surtout loin de l’Allemagne qui est en pleine remilitarisation. Berlin a promis d’engager 1000 milliards d’euros pour la défense et ses infrastructures à partir de 2025. Ses dépenses militaires ont déjà augmenté de 31% depuis 2023. A ce rythme, la Bundeswehr sera très vite la première armée d’Europe. Ce qui ne plaît guère aux Français…
La question centrale, enfin, est celle des moyens budgétaires pour financer la production et l’acquisition d’armes du futur: drones, missiles, défense antiaérienne, avion de chasse et char de dernière génération, guerre numérique… Or, seule une mobilisation de moyens financiers au niveau de l’Union européenne (UE) peut le permettre. D’où l’appel d’Emmanuel Macron à «acheter européen en masse». Avec un énorme écueil: la réticence des industriels du secteur, à commencer par Dassault, le constructeur du Rafale.
Fonds européens
Macron a cité le 13 juillet le programme SAFE de l’UE, doté de 150 milliards d’euros. Ursula von der Leyen avait avancé en mars la somme de 800 milliards pour la défense. Où va aller cet argent? Qui va en profiter? Où seront les usines? La Suisse, consciente de l’obligation de coopérer pour maintenir son industrie d’armement, a confirmé le 25 juin vouloir un partenariat de défense et de sécurité avec l’Union. Paris a convié, ce 14 juillet, un chasseur suisse FA/18 à survoler les Champs-Elysées.
Pour rester la meilleure, ou pour continuer de l’affirmer, la France a plus que jamais besoin d’alliés aux poches plus remplies que les siennes. La preuve: mardi 15 juillet, le gouvernement doit faire des annonces d’économies budgétaires à hauteur de 40 milliards d’euros. Soit les deux tiers du budget annuel des armées.