Après près de deux décennies aux manettes de l'entité serbe de Bosnie, Milorad Dodik a été remplacé samedi par une présidente par intérim, Ana Trisic Babic, une proche. Il a été déchu pour avoir défié un envoyé spécial chargé de veiller au respect de l'accord de paix.
L'élection de Mme Trisic Babic à la présidence de la Republika Srpska (RS) formalise le retrait, initialement fermement refusé, de celui qui a dirigé l'entité serbe sans discontinuer depuis février 2006, en occupant divers postes politiques les plus importants.
Mme Trisic Babic, 58 ans, ancienne vice-ministre des Affaires étrangères de la Bosnie, a été élue par un vote au Parlement de la RS à Banja Luka (nord), chef-lieu de l'entité serbe. Elle était depuis une quinzaine d'années conseillère de Milorad Dodik. «Par cette décision, le mandat du président actuel de la RS prend fin», selon le document adopté par les députés de la majorité, dont ceux de la formation de M. Dodik (SNSD).
Une déchéance et des élections anticipées
Condamné en février à une peine d'un an de prison, accompagnée d'une mesure de sureté lui interdisant d'exercer pendant six ans la fonction de président de la RS - un verdict confirmé en appel -, M. Dodik a été formellement déchu début août de son mandat par la Commission électorale du pays.
Il a été reconnu coupable par un tribunal de Sarajevo du non-respect des décisions du haut représentant international, Christian Schmidt, chargé de veiller au respect de l'accord de paix de Dayton (Etats-Unis) qui avait mis fin à la guerre de Bosnie, dont le 30e anniversaire sera marqué en novembre.
La Commission électorale a convoqué une élection anticipée pour le 23 novembre pour élire un président qui dirigera l'entité jusqu'aux élections générales prévues en octobre 2026.
Le dirigeant serbe bosnien, qui soigne ses relations avec le président russe Vladimir Poutine et est visé depuis 2017 par des sanctions américaines pour sa politique séparatiste, a dénoncé un procès visant à l'"éliminer de la scène politique». Son verdict, qu'il avait initialement rejeté, avait provoqué la plus grave crise politique dans le pays depuis la fin de la guerre (1992-1995).
Implication plus ferme de la diplomatie américaine
Dans un premier temps, en riposte à la condamnation, Milorad Dodik avait fait interdire, par un vote au Parlement de la RS, à la police et à la justice centrale du pays divisé d'exercer dans l'entité serbe. Ce qui lui avait valu une enquête pour «attaque contre l'ordre constitutionnel». Samedi, le Parlement de la RS a également annulé cette interdiction, ainsi que plusieurs autres lois controversées, adoptées depuis un an.
Lors des débats, plusieurs députés de l'opposition ont parlé de «capitulation» de M. Dodik, qui a converti la condamnation à la prison en jours-amende d'environ 19'000 euros. Il avait annoncé la tenue le 25 octobre d'un référendum sur les décisions du Haut représentant et de la justice à son encontre, auquel il a finalement renoncé. Il assurait aussi que la tenue de l'élection présidentielle anticipée serait empêchée, avant de changer d'avis et d'annoncer la participation de sa formation au scrutin.
Selon une source diplomatique occidentale à Sarajevo, ayant requis l'anonymat, ce changement de cap coïncide avec une implication plus ferme de la diplomatie américaine.
Début septembre, la membre serbe de la présidence collégiale de Bosnie, Zeljka Cvijanovic - proche de M. Dodik et elle-même visée par des sanctions américaines - a effectué un voyage à Washington. Peu de détails ont fusé sur son déplacement, mais plusieurs médias bosniens ont affirmé qu'elle y était allée pour «faire passer le message à son patron».
«La RS veut montrer qu'elle est un partenaire crédible. Quand on nous respecte, nous répondons avec le respect», a déclaré Mme Cvijanovic vendredi, dans une déclaration à peine voilée sur un accord passé avec Washington.
Vendredi, les Etats-Unis ont annoncé la suppression de la liste de personnes sanctionnées de plusieurs collaborateurs proches de Milorad Dodik.
Dans une interview accordée samedi au quotidien Glas Srpske, Milorad Dodik, qui reste président de son parti, a assuré que ces concessions ne signifiaient pas son retrait politique.
«Ma fin politique interviendra au moment où le peuple le dira, et non l'inquisition de Sarajevo. Pour l'instant, le peuple n'a pas dit ça. (...) Les fonctions formelles sont importantes, mais elles ne sont pas les plus importantes», a-t-il déclaré. «Nous avons toujours un seul objectif - la Republika Srpska indépendante», a-t-il ajouté.