Le spectacle est devenu banal. Presque chaque week-end, le cirque des deux-roues lancés à pleine vitesse sur le boulevard périphérique lyonnais, du côté de la Porte des Alpes, débouche sur le même chassé-croisé. D’un côté les véhicules de la police, lancés à pleine vitesse derrière les scooters, motos et autres quads pilotés par des jeunes qui multiplient à leur encontre les bras et doigts d’honneur. De l’autre, des rodéos urbains planifiés, organisés sur lesquels des paris sont souvent pris.
Le «gang des Dalton» à Lyon
A Lyon, la bande la plus connue est le «gang des Dalton», regroupée autour de quelques figures de proue du rap local. Leur modus operandi? Jouer, sur leurs deux-roues, au chassé-croisé avec les policiers. L’un de leurs rodéos urbains les plus médiatisés, sur leur propre compte Instagram, a eu lieu en octobre 2021 place Bellecour, en plein centre de la ville. Bilan: plusieurs interpellations, quelques saisies de moto. Mais rien qui ne puisse arrêter ces amateurs de la série de films américains «Fast and Furious»…
Des rodéos urbains «made in USA»
Ces «rodéos urbains» n’ont rien de nouveau, même si le ministre français de l’intérieur, Gérard Darmanin, en a fait désormais l’une des cibles privilégiées des forces de l’ordre. Les scooters d’aujourd’hui, pilotés par des jeunes des quartiers souvent impliqués aussi dans le trafic de stupéfiants, sont de pâles copies des Harley Davidson du «gang des rebelles noirs» dans le film «L’équipée sauvage» de 1953. L’acteur Marlon Brando débutait alors sa carrière en rebelle en blouson de cuir. «Rodéo urbain: gangsta rap, blockbusters américains, trafic de drogue… Comment la «bike life» s’est implantée en France», titrait récemment le quotidien conservateur «Le Figaro».
Américanisation des banlieues françaises
La réalité est que les banlieues des métropoles françaises, pointées du doigt pour la violence qui peut parfois y régner, se sont effet beaucoup américanisées, du point de vue des comportements sociaux. «La diffusion des films comme 'Fast and Furious' dans les quartiers a aidé à donner une autre image des rodéos urbains en montrant un côté positif de cette pratique dangereuse. La criminalité est édulcorée, permettant aux rodéos de pénétrer d’autres sphères non concernées par la délinquance», affirmait au «Figaro» le sociologue Thomas Sauvadet, enseignant-chercheur à l’Université Paris-Est-Créteil et spécialiste des bandes.
L’envers du décor, coté policier, est la culture de la provocation qui s’installe dans les quartiers. Pour les participants à ces rodéos, narguer les flics devant les commissariats, moteurs poussés à fond et pots d’échappements au maximum de décibels, est une quasi-obligation.
De plus en plus d’opérations policières
Résultat: les policiers français ont, ces jours-ci, multiplié les opérations. Plus de 3000 en une semaine selon le Ministère, avec la saisie de près de 200 motos et l’interpellation d’au moins autant de conducteurs. Sauf que ces derniers, souvent mineurs, sont vite relâchés. Et que les courses-poursuites entre flics et voyous motorisés peuvent engendrer des accrochages toujours susceptibles de déboucher sur des émeutes.
En 2007, à Villiers-le-Bel, dans le Val-d’Oise, la mort de deux adolescents sur une moto-cross percutée par les forces de l’ordre avait mis les quartiers en feu. Plus d’une centaine de membres des forces de l'ordre avaient été blessés. Mis en examen pour homicide involontaire, le policier qui conduisait le véhicule avait ensuite été condamné à six mois de prison avec sursis.
Risque d’incendies dans les quartiers
Comment faire, coincés entre provocations et risque d’incendies, au sens propre comme au sens figuré? La recrudescence des rodéos urbains, cet été, montre que les bandes ont compris l’impasse devant laquelle se retrouvent les policiers français auxquels leur hiérarchie permet toutefois de plus en plus «d’aller au contact». Le déploiement d’importantes forces de l’ordre et de pompiers dans le Sud-Ouest, pour lutter contre les incendies – limitant les effectifs disponibles dans les banlieues - et la canicule qui règne depuis des semaines a aussi dopé ce qui est en train de devenir un rite.
Mardi 16 août, le décès d’un jeune de 19 ans à Marseille, lors d’un rodéo urbain, au guidon d’une moto de 650 cm3, a rappelé ce qui s’est déroulé à Pontoise début août, où un jeune de 18 ans a pris la fuite après avoir percuté et tué une petite fille. L’intéressé a depuis été arrêté et avoué que son rodéo mortel était une «épreuve» pour se faire admettre au sein d’une bande de son quartier.
«Il n’y a qu’une seule façon de marcher: tu prends une route et tu regardes jamais en arrière», proclame l’un des héros du film «Fast and Furious: Tokyo Drift». En France, ce qu’il y a devant ces deux-roues, malheureusement, est de plus en plus souvent la violence et la mort.