Depuis 80 ans, la Russie commémore, le 9 mai, la victoire sur l’Allemagne nazie. Ce jour est traditionnellement marqué par un impressionnant défilé militaire à Moscou, mettant en scène chars, missiles et troupes. Mais cette année, le climat est particulièrement tendu. D’un côté, le président ukrainien Volodymyr Zelensky met en garde les invités du défilé contre de possibles attentats lors de l’événement. De l’autre, Moscou réagit en menaçant ouvertement d'anéantir Kiev.
Afin de garantir la sécurité de ses invités de marque, le président russe Vladimir Poutine a proposé un cessez-le-feu pour le week-end à venir. Une proposition que Zelensky a refusée, la qualifiant de manœuvre stratégique. Alors que se passera-t-il vendredi? Les experts ne cachent pas leur inquiétude.
Selon le président ukrainien, la trêve de trois jours – du jeudi au samedi – proposée par Moscou n’a rien de sérieux et ne vise qu’à offrir un sentiment de sécurité aux invités étrangers et aux amis de Poutine. Il l’a qualifiée de «petit jeu» et a, en contre-proposition, appelé à une trêve de 30 jours, perçue comme un pas plus crédible vers une désescalade.
Les invités de marque ont annulé
Une vingtaine de chefs d’Etat et de gouvernement figurent sur la liste des invités, parmi lesquels le président chinois Xi Jinping, le Brésilien Luiz Inácio Lula da Silva ou encore le Vénézuélien Nicolás Maduro. Mais plusieurs d’entre eux ont déjà annulé leur venue. Le Premier ministre indien Narendra Modi a décliné l’invitation, officiellement en raison de tensions au Cachemire. Le président serbe Aleksandar Vucic, qui avait initialement confirmé sa présence, a également renoncé, évoquant des raisons de santé.
Zelensky a prévenu que l’Ukraine ne pouvait garantir la sécurité des représentants étrangers présents à Moscou. Il a même suggéré que la Russie pourrait orchestrer des attaques sur son propre sol – incendies, explosions ou autres – pour ensuite en accuser l’Ukraine. Un avertissement qui a suscité de vives réactions au Kremlin: Dmitri Medvedev, vice-président du Conseil de sécurité russe, a menacé de détruire Kiev: «Personne ne peut garantir que la capitale ukrainienne verra le 10 mai.»
Poutine redoute l'humiliation publique
Pour Ulrich Schmid, spécialiste de la Russie à l’Université de Saint-Gall, l’objectif de Poutine est clair avec cette mini-trêve: «Il veut éviter qu’un drone ukrainien ou une autre attaque ne gâche la parade du 9 mai, qui reste l’événement politico-historique le plus important du pays.» L’expert estime qu'une attaque ukrainienne par drone, un sabotage ou même un attentat terrestre n'est pas impossible. «Une simple alerte aérienne, ou une interruption des festivités, serait déjà perçue comme une victoire symbolique pour Kiev», ajoute-t-il.
Quant à savoir si la Russie réagirait par une offensive dévastatrice, les avis divergent. Pour Ulrich Schmid, cette hypothèse reste peu probable. Il considère les menaces de Medvedev comme de «simples bruits de fond devenus familiers dans la propagande de guerre du Kremlin».
Pas de représailles contre Kiev
Selon Ulrich Schmid, il est peu probable que Moscou mette sa menace à exécution en frappant massivement Kiev. Une telle action contredirait fondamentalement la rhétorique officielle du Kremlin. L’expert de l’Université de Saint-Gall explique:
Premièrement, la Russie prétend toujours que l'«opération militaire spéciale» est dirigée contre le «régime néonazi» ukrainien et non contre le «peuple frère ukrainien». Raser Kiev reviendrait à nier cette distinction.
Deuxièmement, une telle escalade obligerait le Kremlin à admettre officiellement qu'il mène bel et bien une «guerre» contre l'Ukraine.
Troisièmement, Kiev est considérée dans la propagande russe comme la «mère de toutes les villes russes». Ulrich Schmid: «On détruirait donc en quelque sorte le berceau de l'étatisme russe millénaire.»
Une riposte dévastatrice
Ralph D. Thiele, président de la Société politico-militaire allemande et d’Eurodefense Allemagne, estime quant à lui que des représailles russes massives sont tout à fait envisageables en cas d’attaque ukrainienne contre la parade. Car une frappe sur le défilé «humilierait profondément les Russes».
Une telle riposte pourrait causer d'énormes dégâts dans la capitale ukrainienne, les Russes utilisant des missiles de plus en plus performants comme le Kinschal. «Les Ukrainiens n'ont pratiquement aucune chance de se défendre contre ces missiles hypersoniques, d'autant plus qu'ils commencent à manquer de systèmes de défense aérienne.»
Parade sous tension
Même si la parade du 9 mai se déroule sans incident, Vladimir Poutine devra encaisser un revers diplomatique. Pour Ulrich Schmid, le refus de plusieurs dirigeants de participer à l’événement représente une «perte de prestige sensible».
Parmi les absents notables figurent le Premier ministre indien Narendra Modi, le président serbe Aleksandar Vucic et le Premier ministre slovaque Robert Fico. Si Modi peut invoquer les tensions avec le Pakistan, les absences de Belgrade et Bratislava pourraient être liées à des considérations sécuritaires. «Ces annulations envoient un signal embarrassant à Moscou», conclut Ulrich Schmid.