Deux ans après une élection retentissante, le président ultralibéral argentin Javier Milei fait face à des législatives charnières: sa marge de manoeuvre pour réformer et déréguler davantage est en jeu, dans une économie au ralenti et sous pression financière.
Voici les principales clefs du scrutin du 26 octobre, qui renouvelle la moitié des 257 députés et un tiers des 72 sénateurs. Aucune des deux chambres n'a de majorité absolue à ce jour.
Qui perd gagne?
Javier Milei a renversé en 2023 la table politique sur une formule de rupture, se présentant en outsider «anti-caste», cristallisant le ras-le-bol général d'une inflation chronique.
En parallèle de ce raz-de-marée personnel (56%), les élections ont attesté une faiblesse législative, faute d'implantation de son jeune parti La Libertad Avanza (LLA). Le Parlement a donc plusieurs fois frustré ses réformes, notamment des privatisations. La majorité absolue semble toujours hors d'atteinte pour le parti de Milei, au coude-à-coude voire légèrement devancé par l'opposition péroniste (centre gauche), dans les sondages.
En revanche, une augmentation de sa base de 37 députés est une quasi-certitude. Obtenir un tiers des sièges (contre 15% aujourd'hui) lui permettrait de faire passer ses vetos. Ce serait donc «un bon chiffre», estime-t-il.
Deux blocs, une 3e force?
Le parti miléiste se présente seul par endroits, parfois en alliance avec le parti libéral Propuesta Republicana (PRO), non partenaire de gouvernement mais qui a souvent voté les textes avec lui. Face à ce bloc «pro-Milei» se trouve l'opposition péroniste, restée au pouvoir pendant 17 des 23 dernières années.
Traumatisée par 2023, elle cherche à se recomposer, sans contre-programme à ce jour. Axel Kicillof, 54 ans, gouverneur de la province de Buenos Aires, gagne peu à peu en stature en vue de la présidentielle 2027, tandis que pâlit l'étoile de Cristina Kirchner désormais condamnée et inéligible.
Au côté des radicaux (opposition centriste), une troisième force, fédéraliste, à base provinciale, tente de briser cette polarisation: «Provinces unies», qui rassemble du centre droit au centre gauche.
«L'espoir n'y est plus»
Javier Milei revendique des succès: l'inflation domptée (passée de 200% à 31% en interannuel) et l'équilibre budgétaire, inédit en 14 ans. Mais au prix d'une austérité draconienne, avec plus de 200'000 emplois perdus. L'activité économique cale – contraction de 1,8% en 2024, reprise poussive en 2025 – sur fond de société à deux vitesses.
«On est pareil qu'il y a deux ans, mais pire. Et l'espoir qui était là n'y est plus», maugrée Hector Sanchez, 62 ans, dont 40 comme serveur. «J'aimerais qu'il y arrive, mais je n'y crois pas», dit cet électeur de Milei en 2023, aujourd'hui indécis. «En face, il n'y a rien. Et je ne veux pas revenir à avant...»
Le label «anti-caste» du président a aussi été écorné par des soupçons de corruption dans son entourage. Le plus récent a vu un économiste proche de Javier Milei renoncer à la députation, pour des liens passés avec un narco-trafiquant présumé.
Allié américain
Allié idéologique de Javier Milei, Donald Trump a volé au secours de l'économie argentine en pleines turbulences financières: ligne de crédit de 20 milliards de dollars, dispositif à l'étude avec des banques privées pour 20 milliards de plus, ou encore interventions directes sur le marché des changes pour défendre le peso.
Des économistes ironisent sur un risque de «Viet Nam financier» pour les Etats-Unis, à renflouer une Argentine insolvable. Les Argentins, eux, redoutent une dévaluation ou une dépréciation du peso après le scrutin. «Les ordres viennent désormais de Washington (...) Trump est le directeur de campagne de Milei», lance Axel Kicillof. «Que valent des dollars sans les votes?», interroge le quotidien La Nacion.
Un «Lion» à l'écoute?
Moins d'apostrophes et d'insultes contre les opposants ou journalistes, une main tendue aux influents gouverneurs de province, et un embryon d'empathie avec des référence aux Argentins «vulnérables»... Quelque chose dans le ton de Milei a - légèrement - changé depuis septembre et une gifle électorale lors d'un scrutin régional. La campagne a tout de même vu «le Lion», comme il se dépeint, renfiler son cuir de rockeur pour un meeting-concert surréaliste, à l'intention de son noyau dur.
Avant de faire place à un sens pratique post-scrutin? «Il se peut que le pragmatisme de Milei fonctionne, qu'il passe des accords conjoncturels, pour une réforme moins radicale qu'il l'aurait voulu, pour pouvoir montrer qu'il a fait la réforme», pressent Gabriel Vommaro, politologue du centre de recherche Conicet. «Mais une 'normalisation' de Milei, une plus ample coalition? Pas sûr qu'il le puisse, ou même le souhaite.»