C'est la rentrée à Strasbourg: le Parlement européen, renouvelé en juin, élit mardi ses dirigeants sous pression d'une extrême droite renforcée, soucieuse de peser dans les débats malgré ses divisions et le «cordon sanitaire».
Cette plénière, qui marque le début d'une nouvelle législature de cinq ans, s'ouvre dans un climat international tendu, après la tentative d'assassinat contre l'ex-président américain Donald Trump, les menaces du Kremlin contre des villes européennes et les visites de Viktor Orban à Moscou et Pékin.
Boycott de la Hongrie
En réponse au voyage controversé à Moscou du Premier ministre hongrois Viktor Orban, la Commission européenne a annoncé un boycott des réunions informelles sous la présidence hongroise du Conseil. Compte tenu des «derniers développements», la chef de la Commission Ursula von der Leyen a décidé que les commissaires ne se rendraient pas aux réunions en Hongrie, a déclaré lundi son porte-parole Eric Mamer. Les politiciens hongrois ont critiqué cette décision.
Le Premier ministre nationaliste hongrois, dont le pays assure depuis le 1er juillet la présidence tournante de l'UE, ne s'exprimera pas devant les 720 eurodéputés. Son intervention a été repoussée à l'automne, officiellement en raison des nombreux votes procéduraux prévus.
Les droites radicales et nationalistes en force
Ces derniers seront scrutés avec attention: les droites radicales et nationalistes ont fortement progressé aux élections européennes, même si la coalition centriste PPE (droite, 188 sièges), Renew (libéraux, 77) et S&D (sociaux-démocrates, 136) reste majoritaire.
La conservatrice maltaise Roberta Metsola, 45 ans, présidente du Parlement européen depuis 2022, est favorite pour être reconduire mardi pour deux ans et demi. La désignation de ses 14 vice-présidents – chargés de présider des sessions en orchestrant votes et prises de parole – s'annonce plus complexe avec... jusqu'à 4 tours de scrutin et de fortes exigences des deux grands groupes d'extrême droite. ECR (78 eurodéputés), associé à la cheffe du gouvernement italien Giorgia Meloni, comptait un vice-président depuis 2022: il en réclame désormais deux, malgré les résistances de la gauche.
Les «Patriotes pour l'Europe»
Une nouvelle formation, «Patriotes pour l'Europe», a détrôné l'ECR, s'imposant comme troisième force avec 84 eurodéputés, issus notamment de Vox (Espagne), du Fidesz de Viktor Orban et du Rassemblement national (France), avec Jordan Bardella à sa tête. Selon la clé de répartition traditionnelle, deux vice-présidents devraient lui revenir.
Une ligne rouge absolue pour les groupes de la majorité centriste, qui entendent s'accorder sur des candidats alternatifs pour faire barrage aux siens. «Nous discutons pour opposer le +cordon sanitaire+ aux eurodéputés des groupes d'extrême-droite qui sont amis de Poutine. Nous ne voulons pas les voir représenter l'institution», souligne Pedro Lopez de Pablo, porte-parole du PPE.
«Peut-être devrions-nous les appeler 'patriotes russes'? Plus que jamais nous appelons à maintenir le cordon», abonde la co-dirigeante des Verts, Terri Reintke. Parmi les Patriotes, des profils attisent la controverse, dont le général italien Roberto Vannacci, issu de la Ligue de Matteo Salvini et auteur d'un livre truffé de déclarations homophobes, misogynes et anti-migrants.
Des pratiques anti-démocratiques?
Les eurodéputés «Patriotes» pourraient également être exclus la semaine prochaine des présidences de commissions parlementaires. «Le concept bruxellois de démocratie et respect des traditions parlementaires parfaitement appliqué», a ironisé Kinga Gál, vice-présidente hongroise du groupe. «Une pratique anti-démocratique privant des millions de citoyens de représentation», s'insurge un porte-parole, Alonso de Mendoza.
A l'inverse, ECR appelle à «ne pas exclure ceux qui déplaisent à une majorité donnée». Les élus d'ECR eux-mêmes, volontiers atlantistes et favorables au soutien militaire à l'Ukraine – à la différence des Patriotes –, devraient rester épargnés dans la répartition des postes. «Madame Meloni n'était pas dans le cordon sanitaire, à l'inverse du groupe ID dont sont issus les Patriotes: ce qui pose problème, c'est qu'ils sont pro-Poutine, c'est ça la ligne rouge», observe Pascale Joannin, de la Fondation Schuman.
Il faut construire une majorité stable
Ursula von der Leyen, qui espère obtenir jeudi le feu vert des députés pour un second mandat, n'a elle pas exclu de collaborer avec certains partis d'ECR. Si la coalition PPE-socialistes-libéraux surpasse la majorité absolue de 361 eurodéputés dont elle a besoin jeudi pour être reconduite, la dirigeante allemande doit aussi parer aux défections significatives attendues lors du scrutin à bulletins secrets. De quoi la pousser à solliciter le soutien des écologistes (53 sièges), voire à compter sur des élus d'ECR. Le Premier ministre tchèque Petr Fiala a déjà appelé ces derniers à la soutenir.
Or, libéraux, socialistes et Verts s'opposent farouchement à tout recours à ECR pour conforter la cheffe de l'exécutif européen. «C'est crucial de construire une majorité stable avec des partis pro-démocratie, pro-UE», indique Mme Reintke, inquiète des velléités de l'extrême-droite, même divisée, à «influencer l'agenda européen».
ECR, qui auditionnera mardi Mme von der Leyen, entend lui réclamer des gages: «Nous ne pourrons la soutenir si elle persiste dans son approche idéologique» sur le Pacte vert, indique son porte-parole Michael Strauss. L'issue du scrutin s'annonce serrée.